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laisserons les Maures de côté : on nous dirait peut-être que, non loin de la plaine algérienne, dans les montagnes de l’Atlas, où la neige existe et persiste pendant des mois, certaines femmes Kabyles ont, quoique le fait soit rare, « le teint éblouissant de blancheur »[1]. Et il y aurait là, pour un apprenti folkloriste, de quoi bâtir tout un échafaudage de conjectures et placer dans les montagnes de la Kabylie le lieu d’origine de notre épisode[2].

Ce n’est donc, nous semble-t-il, nullement pécher contre les règles d’une sage critique, que d’admettre, comme ayant été parfaitement possible, la formation, la naissance de l’épisode du Sang sur la neige, dans l’Inde du Nord, peut-être dans ce Cachemire tout aussi indien que le Pandjâb ou le Bengale, dans le Cachemire des Somadeva et Khsemendra, tant de fois nommés au cours de nos études folkloriques.

Sans doute, les investigations, très incomplètes, opérées jusqu’à présent dans le trésor immense des contes indiens, n’y ont pas fait encore découvrir l’épisode dont nous nous occupons ; mais, pour bien d’autres contes et traits de contes, il en a été longtemps de même, et pourtant, un beau jour, le document indien auquel les sceptiques déniaient toute probabilité d’existence, a fini par faire son apparition.

Dès maintenant il semblerait que, pour le Sang sur la neige, nous ayons, en faveur de l’origine indienne, mieux que des possibilités sérieuses, un indice vraiment significatif. Nous pouvons montrer

  1. C’est encore à M. Desparmet que nous devons ce curieux renseignement ethnographique. Quelque temps après l’avoir reçu, nous lisions dans le Journal des Savants de juillet 1914 (p. 307) : « L’anthropologie distingue aujourd’hui dans la race berbère [qui comprend les Kabyles], à côté d’individus blonds, d’yeux clairs, de peau blanche, des gens à cheveux bruns, yeux noirs, peau foncée. » (Article de M. F.-G. de Pachtère sur l’Histoire ancienne de l’Afrique du nord, de M. St. Gsell)
  2. Comme observations générales, toujours utiles à remettre en mémoire, redisons, d’abord, que les Kabyles, par la manière dont ils défigurent les contes qui leur ont été transmis, montrent combien ils sont incapables de rien inventer. — Nous rappellerons ensuite, l’action considérable qu’a exercée jadis le grand courant historique indo-persano-arabe, comme importateur des contes indiens dans les pays barbaresques. Le conte maure du Prince muet cité plus haut, comme renfermant notre épisode, a, nous dit M. Desparmet, tel nom propre, qui, pour nos Berbères arabisés (les gens de Blida, au cas présent), n’a pas de sens ; en d’autres termes, qui, dans leur arabe courant, est incompréhensible, et dont seul le dictionnaire de l’arabe classique donne l’explication. De telles survivances de l’arabe d’Arabie, que M. Desparmet a notées plusieurs fois, « viennent, — ainsi qu’il a bien voulu nous l’écrire, — à l’appui de la thèse de la migration des contes par l’invasion de l’Islam. »