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les matériaux, en un endroit déterminé ou plutôt à déterminer[1].

Feu M. Alfred Nutt, lui, localise, et il n’a pas tort ; mais localise-t-il bien ? « Cet incident des gouttes de sang, dit-il[2], est celtique depuis au moins mille ans[3], et je ne vois pas de raison (I see no reason) pourquoi il n’aurait pas son origine chez les Celtes de ces îles (les îles Britanniques). Il doit forcément (it must) être né chez un peuple du Nord, auquel le contraste du rouge du sang et du blanc de la neige soit familier (familiar). »

« Familier » ? Que veut dire M. Nutt ? Sans doute il y a de la neige, et probablement beaucoup de neige dans les pays celtiques, et, par suite, la première condition pour l’existence du « contraste » est bien remplie ; mais, comme seconde condition, — condition indispensable pour que le « contraste » soit « familier » aux Celtes, — il faut que, chez eux, ils aient souvent l’occasion de voir de la neige tachée de sang. Or, certainement, ni chez eux, ni chez n’importe quel autre « peuple du Nord », il n’y a, à tout bout de champ, du sang sur la neige....

Mais, en vérité, est-ce que les contes ayant « l’incident des gouttes de sang » supposent que le « contraste » dont il s’agit est « familier » à leurs personnages ? Est-ce que, dans tous ces contes, — dans les contes celtiques tout autant que dans les autres, — ce « contraste » ne frappe pas le héros ou l’héroïne comme quelque chose d’inattendu, comme quelque chose qu’ils n’ont jamais vu ou, du moins, à quoi ils n’ont pas fait attention jusqu’alors ?

M. Nutt déclare (p. 395) qu’il n’étudiera, pour les comparer entre eux, que les contes qui ont été « trouvés sur le sol celtique » (found on the Celtic soil). Ne s’est-il pas enlevé ainsi toute possibilité de traiter la question d’origine ?

Qu’aurait-il dit, quand, à côté de ses « peuples du Nord », il se serait vu face à face avec un peuple du Sud, tel que les Maures d’Algérie ? S’il avait pris connaissance de ces contes maures, et aussi des contes scandinaves, allemands, italiens, espagnols, mon-

  1. J. Grimm n’a point parlé de la comparaison du teint d’une jeune fille avec le lait et le sang, Jungfrau wie Milch und Blut, comparaison banale en Allemagne. On se rappelle qu'une semblable comparaison se retrouve dans des contes italiens : ragazza di latte e sangue (ce qui est identique à l'expression allemande) ; mais cette comparaison, on l’a vu, fait allusion à un épisode de ces contes. On pourrait se demander si l’expression allemande, qui a passé dans la langue courante, ne viendrait pas, elle aussi, d’un conte allemand, apparenté aux contes italiens, et que les collectionneurs n’ont pas encore rencontré dans leurs investigations.
  2. D. Mac Innes, op. cit. — Notes d’A. Nutt, p. 431.
  3. M. Nutt vise ici le Livre du Leinster, dont il existe, nous l’avons dit, un manuscrit du milieu du xiie siècle.