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cité par Jacques Grimm, se rapproche complètement sur ce point du conte maure.

L’auteur de cette Histoire des Mongols orientaux et de leur Maison régnante est un prince mongol, souverain de la populeuse tribu des Ordus au commencement du xviie siècle ; il dit qu’il a composé son ouvrage « en comparant un grand nombre de vieux livres[1] ». Arrivé à un certain prince Chaghan, né en 1361 et dont l’avènement au trône eut lieu en 1393, il poursuit ainsi :

Soudain son cœur fut dominé par le Schimnus (l’Esprit du mal). Un jour d’hiver, il tua un lièvre d’un coup de flèche, et, quand il vit le sang du lièvre sur la neige, il s’écria : « Ah ! s’il y avait une femme au visage aussi blanc que cette neige et aux joues aussi rouges que ce sang ! » Un de ses compagnons de chasse, l’entendant, lui dit : « Chaghan ! l’éclat de la beauté de Beidschi, la femme de ton frère Ghargotsok l’emporte sur cela de beaucoup. — Fais en sorte que je la voie, dit Chaghan, et je te conférerai telle et telle dignité. »

Pendant que le mari est à la chasse, le compagnon du prince va trouver la femme et lui dit : « Voici l’ordre de Chaghan : Chacun vante et admire ta beauté : aussi vais-je te rendre visite dans ta maison, pour te voir. » La femme accueille ces paroles avec indignation : « Est-ce que jamais il a été permis que les princes voient leurs belles-sœurs ? » Quand cette réponse est rapportée au prince, il entre dans une violente colère ; il dresse un guet-apens à son frère et le tue ; puis il prend sa belle-sœur pour femme.

Ainsi, notre thème a été transporté du folklore dans l’histoire, et il s’y présente, non point sous la forme qu’il a prise dans le Perceval et le Peredur, — forme, d’ailleurs, unique jusqu’à présent, — mais sous celle que nous a fournie le conte maure et que nous retrouverons ailleurs.

Le troisième document écrit, — celui qui a été pour Jacques Grimm l’occasion de ses recherches comparatives, — est un conte du Pentamerone napolitain, ouvrage publié, nous l’avons déjà dit, au commencement du xviie siècle (IV. 39) :

Un roi, étant un jour à la chasse dans une forêt, y trouve « sur une belle dalle de marbre » un corbeau fraîchement tué, et, quand il voit le rouge du sang sur la blancheur du marbre, il pousse un profond soupir et s’écrie : « O ciel, ne pourrais-je avoir une femme aussi blanche

  1. Geschichte der Ost-Mongolen und ihrer Fürstenhauses, verfasst von Ssanan ssetsen Chungtaidschi der Ordus, aus dem Mongolischen übersetzt von Isaac Jacob Schmidt (St-Pétersbourg, 1829), p. 139. — Nous donnons le passage d’une manière plus complète que ne l’a fait Jacques Grimm.