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Or, dans ce livre d’un observateur qui n’est pas le premier venu, on lit, au sujet des Saktiens, sectateurs de Siva et de son épouse Mâyâ Saktî (II, p. 153) : « La nuit, ils vont dans les endroits où l’on brûle les corps morts ; là, ils s’enivrent, mangent de la chair des cadavres » et se livrent à d’horribles débauches. L'auteur rapporte (II, pp. 156 et 159) que, l’an 1055 de l’Hégire (1645 de notre ère), dans le Goudjérate, il a vu un homme qui, « chantant une sorte de cantique, était assis sur un cadavre, qu’il laissait sans l’enterrer jusqu’à décomposition, et alors il en mangeait la chair. » C’est, pour ces sectaires, ajoute le Dabistân, « un acte extrêmement méritoire ».

À notre époque même, une revue du Nord de l’Inde[1] a donné les pièces relatives à une condamnation pour cannibalisme, prononcée en 1888, dans le district judiciaire du Budaon (Inde du Nord-Ouest), contre un certain Raghubir Das : têtes humaines coupées, dévorées toutes saignantes.

À l’occasion d’une certaine secte sivaïte et de ses révoltantes pratiques, un ouvrage récent de M. J. Campbell Oman[2] fait remarquer qu’en définitive ces sectaires tirent une conclusion très logique, tout abominable qu’elle soit, de la philosophie panthéistique du Vedanta : « Si toute chose existante n’est que la manifestation de l’Âme Universelle, rien ne peut être impur. » Ainsi raisonne le sectaire, et ses convictions se traduisent en actes.

Ajoutons avec M. Barth, que, dans l’Inde, la question de l’anthropophagie se mêle à celle du sacrifice humain. La chair humaine s’offre à Kâlî (la même déesse que Saktî), l’épouse de Siva, et, en général, aux puissances redoutables qu’on évoque dans les rites magiques. Or, dans ces rites, une partie de l’offrande, d’ordinaire, est consommée par celui qui la consacre, et aussi parfois par celui qui la fait ; il y a donc une anthropophagie rituelle. C’est en cette qualité, comme substance intégrante du sacrifice magique, que la chair humaine est souvent mentionnée dans la littérature de l’Inde, par exemple dans le Harsha Carita, de Bana, qui est du viie siècle de notre ère, sous le nom de mahâmamsa, « la grande chair ». Elle se vendait en cachette, et même ouvertement dans les temps troublés, dans les grandes calamités, et était d’un prix très élevé. À défaut de la chair d'autrui, on offrait sa propre chair, âtmamamsahoma[3].

  1. North Indian Notes and Queries, avril 1914, n° 11.
  2. Mystics, Ascetics and Saints of India. Londres, 1905), p. 164 et suiv.
  3. Au cours de nos recherches sur la Légende du Page de Sainte Élisabeth de Portugal et les contes orientaux, — recherches dont les résultats ont été publiés,