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Musc-le-plus-capiteux se rendit à l’étuve, suivie des vieilles négresses. Elle se dépouilla. Aussitôt la salle fut parfumée de l’odeur du musc que répandait sa sueur seule. Le fils du marchand vint la sentir et en tomba en pâmoison. Rubis entra alors avec trois petits coffrets en or qu’elle disposa près de la baigneuse. Les masseuses lui frottèrent le corps avec le gant de crin ; puis, ramassant en petits tas la matière grisâtre que le gant avait détachée de la peau, elles la roulaient sous leurs mains en menus cylindres semblables à de la pâte. Elles retirèrent ainsi de son corps trois grumeaux en forme de bâtonnets qu’elles déposèrent dans les trois coffrets. Et c’était ce que l’on appelle du musc.

Rubis remit les coffrets au fils du marchand qui les porta au Sultan. « Seigneur, Voici le musc-le-plus-capiteux. — Dois-je te le payer ? — Non. » Le roi le présenta à Sang-de-gazelle-sur-la-neige. « Tout ce que tu as exigé est dans tes mains, lui dit-il. — Et à qui dois-je en savoir gré, à celui qui m’a apporté les rubis, les perles et le musc, ou au fils du vizir ? — Au fils du vizir. — Jamais ! » Le Sultan perdit contenance. « C’est celui, continua-t-elle, qui a mené la vie du désert comme un arabe et qui a vu en face le danger que je prendrai pour époux, car, serait-il un chien, c’est lui qui a rempli les conditions que j’ai imposées. » Le Sultan la pressa d’abandonner son idée, sans rien obtenir d’elle.

Alors, il se rendit au lieu de ses séances royales. Il fit appeler le fils du marchand. « J’exige de toi, lui dit-il, que tu touches le montant des marchandises que tu m’as fournies, sinon, je te fais trancher la tête. — Seigneur, lui répondit-il, je ne prendrai pas un dirhem. » Laissant alors la menace, il tâcha de le réduire par la douceur. Ce fut en vain. « Viens avec moi, lui dit-il enfin, au- près de Sang-de-gazelle-sur-la-neige. Si elle te dit qu’elle te veut pour mari, tu lui répondras que tu ne veux pas d’elle pour femme. — Je ne ferai pas cela, car la loi, Seigneur, lui confère le droit de prendre un mari à son gré. » Le roi, alors, donna l’ordre au bourreau de lui trancher la tête. Celui-ci s’avança, le sabre nu. Mais quand il voulut frapper, le cimeterre se retourna contre lui et ce fut la tête du bourreau qui tomba. Un second bourreau fut appelé, puis un autre, enfin sept. Tous se décapitèrent de leurs propres mains. Le roi en personne s’approcha. Il prit l’épée, mais ce fut sa tête qui vola. Le vizir lui succéda, puis les dignitaires de la cour. Bref, autant de fois le glaive fut ramassé, autant de fois, au lieu de frapper la victime, il vint couper la tête du bourreau.

Sur ces entrefaites, un homme entra vêtu de blanc, imposant,