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sant de longue date. Voyant la contradiction des uns et des autres, j’en éprouvai un grand plaisir, car ils me paraissaient tellement tenir à mon alliance qu’il me serait plus facile de les subjuguer ; et je me rappelai cette parole évangélique, qui nous dit que tout royaume divisé sera détruit : « Omne regnum in seipsum divisum desolabitur. » Je négociais donc avec les uns et avec les autres et je remerciais chacun en secret de l’avis qu’il me donnait, en les assurant tous les deux de mon amitié.

Apres un séjour de trois semaines en cette ville, les messagers de Muteczuma qui tous étaient restés dans ma compagnie, m’engagèrent à me rendre à une ville appelée Cholula qui se trouve à six lieues de Tlascala ; les habitants, me disaient-ils, étaient les alliés de Muteczuma leur maître ; c’était là que j’apprendrais la résolution qu’il aurait prise au sujet de ma visite à sa cour ; que quelques-uns d’entre eux iraient le voir, lui dire ce que j’avais fait et me rapporteraient sa réponse. Quoique je susse fort bien que dans leur nombre il y en avait plusieurs qui auraient pu me renseigner sur l’heure, je répondis que j’irais, et que je partirais tel jour que je leur signalai. À la nouvelle que j’avais accepté de me rendre à Cholula, les gens de Tlascala vinrent me trouver fort inquiets, pour me supplier de ne point me rendre en cette ville, où m’attendait une trahison organisée pour m’exterminer moi et mes compagnons ; que dans ce but Muteczuma avait envoyé cinquante mille hommes, qu’il avait mis en garnison à deux lieues de Cholula ; qu’on en avait barré la route royale par où nous devions passer ; qu’on en avait ouvert une autre, semée de chausse-trapes et de pointes de bois aigu, pour y taire tomber les chevaux et les estropier ; que la plupart des rues de la ville étaient barricadées et toutes les plates-formes des maisons garnies de pierres, pour qu’à notre entrée dans la ville les habitants pussent nous exterminer à leur aise ; que si je voulais me convaincre de la vérité de leurs assertions, je n’avais qu’à me rappeler la négligence des seigneurs de cette ville à me rendre visite, eux mes voisins, tandis que les gens de Guajozingo, beaucoup plus éloignés, s’étaient empressés de venir. « Faites-les appeler, me dirent-ils, et vous verrez s’ils viendront. »