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n’avions rien vu de pareil. Plusieurs de mes hommes insistaient pour que nous abandonnions immédiatement le village avant qu’on s’aperçût de notre petit nombre et qu’on nous coupât la retraite ; le conseil était certainement bon, car tout ce que nous voyions ne pouvait que nous inspirer de justes raisons de crainte. Nous restâmes ainsi un bon moment sur cette grande place sans entendre la moindre rumeur, et je me disais que nous ne devions pas quitter la ville de cette manière ; les Indiens en effet auraient peur en nous voyant rester, tandis que nous voyant fuir, ils jugeraient de notre faiblesse, ce qui serait beaucoup plus dangereux. Il en fut ainsi, grâce à Dieu. Après être resté un moment sur cette place, je me retirai avec mes gens dans une des maisons des prêtres d’où j’envoyai quelques hommes à la découverte ; il n’y avait personne. Ils entrèrent dans une foule de maisons, car dans toutes il y avait de la lumière. Ils y trouvèrent des vivres et des provisions de toutes sortes et revinrent fort contents.

Nous passâmes le reste de la nuit sur nos gardes et dès qu’il fit jour nous visitâmes la ville, qui était fort bien construite avec des rues bordées de maisons bien alignées et, dans toutes, du coton brut et du coton filé, des étoffes toutes prêtes et quantité de maïs sec, de haricots, de cacao, de tomates et de sel, des cages pleines de poules, de faisans et de perdrix, ainsi que de ces chiens comestibles qui sont un excellent manger, si bien que, si nous avions eu les navires à notre portée, j’aurais pu les bonder de provisions pour bien des jours. Mais pour en profiter il fallait emporter ces vivres à vingt lieues de là, et nous étions en tel état, que nous avions peine à nous porter nous-mêmes sans nous reposer quelques jours.

Je me fis amener l’un de ces Indiens que nous avions surpris à la chasse dans les bois et qui me paraissait être un habitant notable, et lui fis dire, par mon interprète, qu’il s’en allât de ma part à la recherche du cacique et des habitants de cette ville, avec mission de leur dire que je n’étais point venu pour leur causer ennui ni trouble, mais bien pour leur causer de choses qui les intéressaient au plus haut point : que je serais heureux de voir le cacique ou l’un de ses officiers pour lui expliquer les