Page:Cortés - Lettres à Charles Quint, trad. Charnay, 1896.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été défendue par nos armures, je crois qu’aucun de nous n’eût échappé.

Enfin, grâce à Dieu, quelques-uns se jetèrent dans une petite rivière qui débouche dans la lagune que j’avais suivie tout le jour, d’autres les imitèrent et ce fut une débandade ; cependant ils s’arrêtèrent au delà de la rivière, et nous d’un côté, eux de l’autre nous restâmes en présence jusqu’à la nuit, car le ruisseau étant très profond, nous ne pouvions le passer. Nous étions du reste fort contents de les voir de l’autre côté ; nous retournâmes au village qui est à une portée de fronde du ruisseau, et nous y passâmes la nuit sous bonne garde et nous mangeâmes à notre souper le cheval qu’on nous avait tué, n’ayant pas autre chose.

Le jour suivant, nous prîmes un chemin où l’on ne voyait personne, et qui nous conduisit, à trois ou quatre villages abandonnés par leurs habitants, mais où nous trouvâmes des magasins contenant de grands vases pleins d’un vin que fabriquent les Indiens. Ce jour-là, nous ne rencontrâmes personne, et nous dormîmes en plein champ où se trouvaient d’amples moissons de maïs, au milieu desquelles chevaux et gens purent se refaire ; je continuai deux ou trois jours de la même façon, ne rencontrant personne quoique traversant beaucoup de villages ; mais comme nous manquions de vivres, car nous n’avions pas entre tous cinquante livres de pain, nous retournâmes au village où je trouvai mes hommes en bon état et n’ayant eu à repousser aucune attaque des Indiens ; puis, voyant que toute la population se trouvait de l’autre côté de la lagune que je n’avais pu atteindre, je fis embarquer la nuit, hommes et chevaux, arquebusiers et arbalétriers avec ordre de traverser la lagune pendant que d’autres de mes gens les rejoindraient par terre. Ils arrivèrent ainsi à un grand village dont ils surprirent les habitants et dont ils tuèrent un grand nombre ; les autres furent tellement effrayés de se voir enlevés par surprise au milieu de leurs lagunes, qu’ils vinrent demander la paix, et en moins de vingt jours toute cette population se reconnut sujette de Votre Majesté.

Cette province étant pacifiée, j’envoyai de toutes parts des