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précaution ; pour moi, je restai accompagné d’une vingtaine d’Espagnols, dans une petite île qui se trouvait là, d’où j’observais une troupe de nos alliés enveloppés par les Mexicains. Ils les repoussaient quelquefois jusqu’à les jeter à l’eau, mais grâce à nous, ils pouvaient reprendre l’offensive. En outre, nous surveillions toutes les traversées des rues d’où pouvaient surgir des Mexicains sur les derrières des Espagnols qui s’étaient enfoncés sur la chaussée. Ils m’envoyaient dire, en cet instant, qu’ils étaient fort avancés et qu’ils approchaient de la place du Marché ; que de toutes façons ils voulaient aller de l’avant, parce qu’ils entendaient le bruit du combat que Sandoval et Alvarado livraient de leur côté.

Je leur défendis de faire un pas en avant sans combler les tranchées avec le plus grand soin, de manière que s’ils étaient forcés de battre en retraite, ils n’éprouvassent point de difficulté du côté de l’eau qui avait toujours été notre grand danger. Ils me répondirent qu’ils avaient eu soin d’aveugler toutes les tranchées dont ils s’étaient emparés et que je pouvais m’en assurer moi-même. Craignant qu’ils n’eussent négligé quelque précaution dans l’affaire des chaussées, je me rendis sur les lieux et je constatai qu’ils avaient franchi une brèche de plus de dix mètres de large, où ils s’étaient contentés de jeter quelques pièces de bois et des brassées de roseaux, sur lesquels ils avaient pu passer les uns après les autres : enivrés par la victoire, ils s’en allaient convaincus que tout était en ordre.

Au moment où j’arrivai à la tranchée pleine de cette eau maudite, je vis les Espagnols et grand nombre de nos alliés qui revenaient en fuyards poursuivis par les ennemis acharnés comme des chiens après eux. Témoin d’un si grand malheur, je leur criais : attention ! prenez garde ! et m’avançant sur le bord de l’eau, je la vis toute pleine d’Espagnols et d’Indiens ; et il ne paraissait même pas qu’ils y eussent jeté un fétu de paille. Et les Mexicains poursuivaient les Espagnols avec une telle fureur qu’ils se jetaient à l’eau derrière eux, et de toutes parts accourraient des canoas pleines d’ennemis qui s’emparaient des Espagnols vivants. Le désastre fut si rapide, que voyant massacrer mes gens, je jurai de rester là et de mourir en les défendant ;