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mes gens gardassent les ponts pendant la nuit. Des deux côtés il y avait de grands dangers et impossibilité : établir nos quartiers dans la ville, les Indiens étant légions et nous en petit nombre, chaque nuit et à toute heure de la nuit, ce n’eût été qu’une suite d’alertes et de combats, renouvelés de tous côtés et pour nous une fatigue au-dessus de nos forces. Faire garder les ponts la nuit ! mes Espagnols étaient si fatigués d’avoir combattu tout le jour ! et je ne pouvais confier la garde des ponts à d’autres. Nous étions donc forcés de reprendre ces ponts chaque fois que nous revenions sur la ville.

Ce jour-là, comme la reprise des ponts et l’aveuglement des tranchées nous prirent beaucoup de temps, nous ne pûmes faire grand’chose de plus, sauf que dans une grande rue qui mène à Tacuba, nous nous emparâmes de deux ponts dont les tranchées furent comblées en même temps que nous détruisions une partie des maisons de la rue. Arriva le soir et le moment de nous retirer, chose moins dangereuse que l’attaque des ponts. En nous voyant en retraite, les Mexicains se réjouissaient, il semblait qu’ils eussent remporté la plus grande victoire du monde et qu’ils nous avaient mis en fuite. Dans ces retraites, il fallait que les chaussées fussent parfaitement comblées pour que la cavalerie pût facilement se rendre d’un point à un autre. Ainsi, dans ces retraites, où les ennemis nous suivaient avec tant d’acharnement, nous simulions quelquefois la fuite, et la cavalerie se retournait subitement contre eux, leur infligeant toujours la perte d’une douzaine des plus enragés. Ils tombaient là comme dans nos pièges, toujours victimes de leur ardeur ; nous ne pouvions nous empêcher de les admirer : car, quel que fût le mal qu’ils étaient certains de recevoir, ils ne laissaient pas que de nous suivre jusqu’à notre sortie de la ville.

Nous gagnâmes enfin notre camp, où je reçus des nouvelles de mes deux capitaines, me disant le succès de leurs armes et que les Mexicains avaient perdu beaucoup de monde sur terre et sur l’eau. Alvarado m’écrivait de Tacuba qu’il avait gagné deux ou trois ponts. Comme il se trouvait sur la chaussée qui va du marché de Mexico à Tacuba et que les trois brigantins