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pas l’air de s’en apercevoir ; après chaque décharge, les vides se remplissaient comme pur enchantement et nous avions toujours des troupes fraîches devant nous. Laissant dans notre demeure le renfort que j’y devais laisser, je fis une sortie, m’emparai de quelques ponts et brûlai plusieurs maisons où nous tuâmes beaucoup de monde ; mais les Indiens étaient si nombreux, que malgré tout, nous ne faisions que petite besogne. De plus, il nous fallait combattre sans répit tandis que nos adversaires ne combattaient que quelques heures remplacés par des troupes fraîches. Ils nous blessèrent ce jour-là cinquante ou soixante Espagnols dont aucun ne mourut ; nous luttâmes jusqu’à la nuit, et rentrâmes nous reposer à la forteresse. Constatant les dommages que nous faisaient subir les Indiens, et comment ils nous blessaient et nous exterminaient sans grand péril ; que les pertes que nous leur infligions étaient sans nul effet, vu leur grand nombre ; nous employâmes une nuit et un jour à construire trois tours de bois dont chacune pouvait contenir vingt hommes qui se trouvaient ainsi à l’abri des pierres qu’on nous lançait des plates-formes des maisons. Ces hommes étaient des arquebusiers et des arbalétriers mêlés de soldats armés de pics, de pioches et de fortes barres de fer, pour perforer les maisons et détruire les barricades que les Indiens avaient élevées dans les rues. Pendant la construction de ces machines le combat ne cessa pas un instant ; quand nous voulûmes sortir, les Indiens se précipitèrent pour entrer chez nous et nous eûmes toutes les peines du monde à les repousser. Muteczuma était toujours entre nos mains ainsi que l’un de ses fils et autres seigneurs dont nous nous étions emparés dans le principe ; j’ordonnai qu’on l’amenât sur la terrasse de notre palais afin qu’il parlât aux capitaines indiens et leur dit de cesser leurs attaques. On l’amena donc, mais en arrivant sur une espèce de balcon qui faisait saillie sur la rue pour haranguer les Mexicains, il reçut un coup de pierre si violent qu’il mourut trois jours après. Je remis son cadavre à deux Indiens nos prisonniers pour qu’ils le livrassent à ses sujets ; j’ignore ce qu’ils en firent, mais la guerre loin de cesser devint chaque jour plus cruelle et plus acharnée.