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un petit brasero garni de braise pour que rien ne se refroidît. On mettait tous les plats dans une grande salle où Muteczuma mangeait ; cette salle avait son plancher couvert de nattes toutes neuves où le prince s’asseyait sur un coussin de cuir très élégant. Au moment du repas il était entouré de cinq ou six vieillards à qui il distribuait des choses qu’il mangeait. L’un des serviteurs restait près de lui, enlevant et lui donnant les plats que lui passaient d’autres serviteurs selon les besoins du service. Au commencement et à la fin du repas, on lui présentait toujours une aiguière pour se laver les mains, il ne se servait jamais deux fois de la même serviette ; les plats, les assiettes et les tasses ne servaient également qu’une fois ainsi que les petits réchauds ; à chaque repas on en apportait des neufs.

Ce prince revêtait chaque jour quatre costumes différents toujours neufs et ne les mettait qu’une fois. Tous les seigneurs qui entraient dans son palais y entraient nu-pieds, et quand il sortait précédé de quelques-uns d’entre eux, ils marchaient la tête et les yeux baissés, dans une posture toute d’humilité ; quand ils lui parlaient, ils n’osaient, par respect, le regarder en face. Et je sais bien qu’ils agissaient ainsi par respect pour leur maître, car plusieurs de ces nobles indiens n’osaient en me parlant me regarder la figure, disant que c’était irrévérencieux et inconvenant. Quand Muteczuma sortait, ce qui était fort rare, tous les gens qui l’accompagnaient et ceux qui se trouvaient sur son passage à travers les rues, détournaient le visage, sans le regarder jamais et la plupart se prosternaient jusqu’à ce qu’il fût passé. L’un de ses officiers marchait toujours au-devant de lui, portant trois longues verges pour faire savoir que le maître allait venir et quand il descendait de son palanquin, il prenait l’une de ses verges et la portait où il allait. Les cérémonies qu’exigeait l’étiquette à la cour de ce prince, étaient si nombreuses, qu’il me faudrait beaucoup trop de temps pour les rappeler toutes et une grande mémoire pour m’en souvenir ; et il n’y a pas de sultans ou grand seigneurs infidèles de ceux que nous connaissons, qui mettent en pratique, à leur cour, des cérémonies aussi compliquées.