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15 juin 1753


JUIN.


Paris, 15 juin 1753.

C’est le sort des grands hommes et de leurs ouvrages d’être copiés et imités sans, cesse par les petits génies. M. le président de Montesquieu nous a donné des Lettres persanes ; ce livre, rempli de philosophie, de lumières, de vues vastes et profondes, de traits fins et agréables, a engendré une multitude de Lettres Turques, Juives, Arabes, Iroquoises, Sauvages, etc., qui n’ont aucun des avantages ni des agrémens de leur original. Les petits écrivains ont cru que, pour être à côté de l’illustre président, il n’y avait qu’à faire voyager un Turc ou un Iroquois en France, lui faire écrire des lettres à ses amis dans son pays, et les dater à l’orientale. M, le chevalier d’Arcq[1] vient d’augmenter leur nombre par trois volumes de Lettres d’Osman ; c’est un recueil de beaucoup de choses très‑communes, dites d’une manière très‑commune, et de beaucoup de remarques, souvent fausses et presque toujours déplacées ou triviales. Rien ne prouve mieux le mérite de l’original et la faiblesse des copies, que l’impossibilité où se trouvent les imitateurs de faire le rôle du personnage qu’ils prétendent faire parler. Leurs Turcs sont précisément aussi dépourvus d’esprit et de sens qu’eux‑mêmes, et leurs réflexions si peu turques et si platement françaises,

  1. Petit-fils de Louis XIV, (bâtard du comte de Toulouse), auteur de plusieurs autres ouvrages. Homme de lettres et de plaisir, il mourut en exil à Tulle, en 1779.