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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE

plaît. En adoptant donc la manière de M. l’abbé Raynal, il faut lui rendre la justice que les portraits de son nouvel ouvrage ne sont plus chargés d’antithèses ni de contradictions ; qu’il a mieux vu les hommes qu’il a voulu peindre, et que ses héros ne pourraient plus troquer de portraits entre eux, sans que le lecteur s’en aperçût, comme on pourrait très-bien dire de son Stathoudérat. Nous ne citerons ici, pour preuve de ce que nous avançons, que le portrait du connétable de Montmorency. Plutarque n’aurait pas fait ce portrait ; mais il n’aurait pas oublié de nous dire que la maison du connétable, à peu de distance de Paris, n’a aucune fenêtre en dehors sur la ville, grand chemin de la capitale, et que toutes les fenêtres donnent dans la cour. Un autre reproche qu’on peut faire à M. l’abbé Raynal, et qu’on a souvent fait à Tacite, c’est l’abus du raisonnement et de la sagacité. C’est mal connaître les hommes que de vouloir indiquer les raisons et les ressorts de tous les événemens : cette méthode pourrait être vraisemblable, si l’expérience n’y était pas contraire. Mais ce philosophe s’aperçoit aisément que les héros, dans les tourbillons des affaires, ne raisonnent pas comme leurs historiens dans leurs cabinets, et que les actions des hommes et les événemens les plus remarquables ne sont ordinairement que l’ouvrage du hasard, des passions, et de mille circonstances peu connues et peu importantes. Nous ne doutons pas que M. l’abbé Raynal ne continue à travailler sur le plan qu’il s’est proposé. C’est un ouvrage qui peut devenir classique pour les jeunes gens, pour les femmes et pour tant d’oisifs, qui ne peuvent s’instruire autrement ; c’est l’ouvrage d’un homme d’esprit, fait pour instruire et plaire.