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représenter pendant les fêtes du mariage l’opéra de Persée, de Quinault et Lulli, à cause de sa nouveauté sans doute, et l’opéra de Castor et Pollux, de Bernard et Rameau. Mme la duchesse de Villeroy, fille de M. le duc d’Aumont, a présidé comme ordonnatrice à toutes les répétitions. L’opéra de Persée a magnifiquement ennuyé : toutes les machines ont manqué, comme il devait arriver sur un théâtre tout neuf ; le seul moment piquant du spectacle a été l’ouvrage du gros Persée ; Persée Le Gros s’est laissé choir aux pieds d’Andromède dans le moment décisif : cette chute a beaucoup fait rire madame la dauphine.

Indépendamment de ces opéras, on a représenté sur ce théâtre la tragédie d’Athalie, par Racine, et celle de Tancrède, par M. de Voltaire, et Mlle Clairon a joué dans les deux pièces. L’illustre Clairon aurait désiré que le roi lui fît dire qu’il verrait avec plaisir qu’elle remontât sur le théâtre, et ce mot aurait suffi pour la faire rentrer à la Comédie-Française ; mais Sa Majesté ne s’est pas prêtée à cette insinuation. Cependant il a été décidé par Mme la duchesse de Villeroy que le mariage d’un dauphin ne pouvait être célébré sans Mlle Clairon, qui a toujours conservé la passion de son métier, quoique un moment de dépit l’ait fait renoncer au théâtre de sa gloire. La passion ne donne pas toujours de bons conseils. Il fallait que l’illustre Clairon considérât qu’elle était dans l’âge où l’on n’acquiert plus ; que près de cinq ans de retraite pouvaient avoir influé sur sa figure et même sur son talent ; mais elle n’a fait aucune de ces réflexions, et a fait même une faute plus grave. Le rôle d’Athalie appartient de tout temps à Mlle Dumesnil ; ce n’est que dans l’absence de cette actrice que Mlle Clairon l’a quelquefois joué, mais rarement et toujours sans succès, parce que c’est un rôle passionné, et troublé et emporté, où l’art et le jeu raisonné sont mortels. Enlever ce rôle à une ancienne actrice dans une occasion solennelle, c’était un très mauvais procédé. Du moment qu’on sut cet arrangement à Paris, il ne fut plus possible à Mlle Dumesnil de se montrer sur le théâtre sans des transports d’applaudissements. Grâce à la protection de Mme la comtesse du Barry, les fêtes de la cour furent augmentées d’une représentation de la tragédie de Mérope ; Mlle Dumesnil y parut dans un habit donné par sa protectrice ; elle y eut le plus grand succès, et le roi lui fit dire après la pièce qu’il n’avait jamais été