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les dorures, ce sera encore aux dépens de la décoration théâtrale, que vous écraserez par les couleurs trop brillantes de la salle. Voilà les premières notions sur la décoration et l’illumination des théâtres. À cela on répond que la salle de Versailles ne doit pas seulement servir aux spectacles de la cour, mais aussi au festin ou souper royal, au bal paré, etc., dans ces occasions augustes et solennelles. Je dis que c’est une fausse vue que de vouloir adapter le même bâtiment à des usages si différents ; qu’un roi de France est assez riche pour avoir une salle de bal à part ; qu’en employant la salle d’opéra à cet usage, l’expérience a prouvé que ces ornements étaient beaucoup trop brillants, puisque la cour dans toute sa magnificence, les femmes malgré leur plus grande parure et tous les diamants du Brésil, avaient été effacées par l’éclat de la décoration.

Une autre bévue incompréhensible, c’est que dans cette salle magnifique il n’y a de la place que pour environ quatorze ou quinze cents personnes, et qu’à l’exception de l’amphithéâtre réservé à la famille royale et des premières loges, le reste des spectateurs paraît plutôt relégué dans des coins et dans des niches qu’admis au spectacle de son souverain. On a pratiqué aussi des niches grillées sous l’amphithéâtre et les premières loges ; et, pour leur ménager la vue du théâtre, on a enterré le parquet de façon que, lorsqu’on y est assis, on ne voit guère que la tête des acteurs. On dit, quant au nombre des places, que quatorze cents suffisent dans les jours ordinaires de comédie, et qu’il n’y a rien de si triste qu’une salle trop vaste et peu garnie de spectateurs. Je réponds qu’on ne doit pas jouer la tragédie et la comédie sur le théâtre de l’Opéra, parce qu’elle ne fait pas d’effet sur un si grand théâtre, comme l’expérience vient de le démontrer ; qu’il doit y avoir pour ces représentations un petit théâtre à part ; mais que ce petit théâtre ne doit pas être un trou de garde-robe, comme celui sur lequel on a joué la comédie à Versailles jusqu’à ce jour ; qu’il n’y a point de prince en Europe qui à ses Opéras ne place deux, trois et jusqu’à quatre mille spectateurs, et que l’architecte est inexcusable de n’avoir pas ménagé cette facilité au souverain d’un grand royaume lorsqu’il marie son petit-fils.

Quoi qu’il en soit de cette magnifique salle, M. le duc d’Aumont, premier gentilhomme de la chambre en exercice, y a fait