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teurs de cette fête de faire remplir ces fossés, mais que le lendemain du désastre on eut grand soin de les combler ; et vous ne serez plus étonné de ce qui est arrivé. Cependant, de tous ces arrangements si peu réfléchis, il ne serait vraisemblablement résulté aucun accident si l’on avait voulu s’occuper de la police des carrosses, et publier la veille, ou le jour même, la route par laquelle il serait permis aux carrosses d’arriver sur la place, et celle par laquelle ils seraient obligés de s’en retourner. Cette précaution fut absolument négligée. Le prévôt des marchands ne songea qu’à se maintenir dans son droit d’exercer la police dans toute l’enceinte de la place, et à empêcher le lieutenant-général d’y faire aucune fonction ; il ne pensa seulement pas à faire prier le gouverneur des Tuileries de laisser le Pont-Tournant ouvert, afin qu’une bonne partie du peuple pût défiler, à pied, après le feu, par le jardin des Tuileries. Ce pont fut fermé à l’heure ordinaire, de sorte que ce débouché nécessaire manqua absolument. Moyennant ces données, le désastre devint inévitable.

Malgré le plus beau temps du monde le feu ne réussit point, parce qu’au lieu de prendre aux pièces d’artifice, il prit à la charpente et causa un incendie ; on fut obligé de faire venir les pompes pour l’éteindre, et ces pompes ne purent arriver que par la rue Royale surcroît d’embarras. Il était aisé de prévoir qu’après le feu tiré, le peuple qui était sur le boulevard voudrait arriver par la rue Royale sur la place pour voir l’illumination des colonnades, et qu’au contraire le peuple de la place se mettrait à défiler par la même rue Royale pour se rendre au boulevard, et y jouir de cette belle foire dont j’ai parlé. Ces deux colonnes devaient nécessairement se rencontrer nez à nez, et le choc devenir aussi dangereux qu’inévitable. Comme la rue Royale a la forme d’un entonnoir, ceux qui se trouvèrent engagés dans le fond de cet entonnoir ne purent déboucher à cause de la colonne opposée qu’ils rencontrèrent, et furent de plus en plus pressés par la foule dont ils étaient suivis, et qui, par le côté large, s’engageait dans cette route fatale pour percer de la place au boulevard. Dans ce moment critique, les carrosses s’ébranlèrent et voulurent prendre le même chemin : il est fâcheux que dans ces occasions les personnes considérables croient de leur dignité d’aller à six ou huit chevaux, et surtout d’avoir l’air