Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’accuser le patriarche de ce tas d’ordures détestables ; c’est quelque Theriot ou quelque abbé de La Porte, tout aussi grand gueux que Fréron, qui lui fournit ces infamies, dont il a ensuite la faiblesse de souiller sa plume dans un moment de désœuvrement. Ce tas de bassesses contient aussi beaucoup de mensonges. On comprend, par exemple, Sedaine au nombre des croupiers de Fréron, c’est-à-dire de ceux qui travaillaient à ses feuilles ; c’est un fait que Sedaine, très-estimé par ses mœurs et ses talents, n’a jamais connu ni Fréron ni aucun de ses dignes associés.

— Quand il arrive quelque accident dans une fourmilière par la faute et la sottise de trois ou quatre gros bonnets de fourmis, les poëtes et les prêtres de cette canaille, menteurs de leur métier, ne manquent jamais d’attribuer ces malheurs à des causes surnaturelles, et de montrer le ciel en courroux : il suffit cependant de quelque sottise faite à propos et de quelques étourderies secondant cette sottise, pour causer de grands désastres dans une fourmilière sans que les éléments s’en mêlent. Un poëte anonyme vient de faire une Ode sur le malheur inouï et incroyable de la soirée du 30 mai dernier[1]. Si M. Bignon, prévôt des marchands, aspire à la couronne civique, ob cives servatos, il aura de la peine à l’obtenir. Ce grand magistrat n’a pas manqué de se coucher cette nuit fatale à onze heures, comme à son ordinaire, en revenant de son beau feu, et de se montrer le surlendemain dans la loge de la ville à l’Opéra, sans doute dans le dessein de faire le plus grand éloge possible de la douceur des mœurs parisiennes.

— J’ai eu l’honneur de vous parler d’une Lettre des Indes, adressée à l’auteur du Siècle de Louis XIV, c’est-à-dire à M. de Voltaire, par un M. de La Flotte[2]. Ce M. de La Flotte, embarqué sur l’escadre qui transportait le général Lally, a été témoin de la perte de l’Inde, sous la conduite de ce chef malheureux. Il ne dit pas quel emploi il avait dans l’armée, mais je crois que c’était quelque emploi de plume. Il fut fait prisonnier par les Anglais, ainsi que tous les Français qui se trouvaient dans cette partie du monde. Il s’embarqua sur un vaisseau de la com-

  1. Voyez au 1er du mois suivant des détails sur les accidents qui attristèrent les fêtes du mariage du dauphin et de Marie-Antoinette.
  2. Voir tome VIII, page 506.