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faire imprimer, dit-on, une traduction de Tacite, a voulu imiter M. Rousseau ; il a envoyé sa souscription à Mme Necker, et il a choisi pour cet envoi un vendredi, jour ordinaire du bureau philosophique dans cette maison. Mme Necker, en lui renvoyant son argent, lui a fait dire simplement qu’elle ne recevait point de souscriptions, ce qui est vrai. Palissot et Fréron ont été exclus dans les formes par arrêt de la cour des pairs, séante le 17 avril chez Mme Necker ; mais si ce pauvre Le Franc de Pompignan n’était pas si sot, il se serait vengé comme Jean-Jacques : actuellement il est trop tard, et l’honneur de l’invention restera tout entier à l’orateur genevois.

— Il nous est venu de la manufacture de Ferney une très-petite feuille, assez bonne à conserver. Ce sont des Anecdotes sur Fréron, écrites par un homme de lettres à un magistrat qui voulait être instruit des mœurs de cet homme ; feuille de quinze pages, qui a déjà été fourrée dans le recueil des Choses utiles et agréables, et qui reparaît ici avec des augmentations. L’auteur a voulu imiter la manière de Plutarque, en rapportant un grand nombre de détails domestiques concernant son héros. On y calcule avec le plus grand soin combien de fois Fréron a été mis à la Bastille, combien de fois au For-l’Évêque, combien de fois à Bicêtre. On y rapporte que son père était orfèvre, et qu’il passe pour avoir été obligé de quitter sa profession parce qu’il mettait de l’alliage plus que de raison dans l’or et l’argent ; qu’il a épousé sa nièce, qui balayait la rue devant la boutique de sa sœur ; que cette sœur, fripière de son métier, hait son frère le folliculaire ; que ce frère a volé un couteau au chirurgien Louis ; qu’il a obtenu, par le moyen d’une catin, dépositaire de lettres de cachet et sa protectrice, un ordre pour enlever son beau-frère, avocat au parlement de Bretagne[1], qu’il l’a garrotté lui-même et conduit au cachot en tenant ses chaînes, etc. Tous ces détails sont infiniment nobles et intéressants, comme vous voyez. Qui croirait que la même plume pût écrire la Traduction de M. Plokof[2] et les Anecdotes sur Fréron ? Sérieusement je n’ai garde

  1. Ce beau-frère de Fréron était Corentin Royou, mort en 1828, auteur de plusieurs ouvrages historiques et de tragédies également médiocres. Voir un Mémoire sur cette affaire à la suite de la lettre de Voltaire à d’Alembert du 19 mars 1770.
  2. Traduction du poème de Jean Plokof, conseiller de Holstein, sur les affaires présentes, 1770 ; dans les Œuvres de Voltaire.