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Et force leurs barbares cœurs
À s’ouvrir aux regards des hommes !


« J’apprends, monsieur, qu’on a formé le projet d’élever une statue à M. de Voltaire, et qu’on permet à tous ceux qui sont connus par quelque ouvrage imprimé de concourir à cette entreprise. J’ai payé assez cher le droit d’être admis à cet honneur pour oser y prétendre, et je vous supplie de vouloir bien interposer vos bons offices pour me faire inscrire au nombre des souscrivants. J’espère, monsieur, que les bontés dont vous m’honorez et l’occasion pour laquelle je m’en prévaux ici vous feront aisément pardonner la liberté que je prends. Je vous salue, monsieur, très-humblement et de tout mon cœur.

« Signé : Rousseau. »


On a beaucoup raisonné sur les quatre vers qui se trouvent au commencement de cette lettre ; on y a voulu trouver la satire du projet de la statue. Dépense d’esprit perdue. Le fait est que J.-J. Rousseau a rimé cette formule dans sa détresse, pendant le fameux et terrible rêve où David Hume s’écria : Je te tiens, Jean-Jacques ! Depuis l’accomplissement du rêve, Jean-Jacques met cette formule au haut de toutes les lettres qu’il écrit, comme un préservatif, et comme les religieuses mettent Vive Jésus ! Il a aussi pris au docteur Tronchin sa manière de chiffrer la date de ses lettres, en partageant l’année par deux chiffres, dont l’inférieur indique le nombre du mois de l’année, et le supérieur le jour de ce mois. On dit qu’il va arriver incessamment à Paris, et qu’il aura la permission d’y rester, à condition de se tenir tranquille et de ne rien imprimer. Cette dernière clause ne s’accorde guère avec nos intérêts. Jean-Jacques a agi en homme d’esprit en souscrivant pour la statue de M. de Voltaire ; et sa lettre serait même un petit chef-d’œuvre, s’il avait pu prendre sur lui de supprimer pour cette fois, sans conséquence, son petit quatrain plat : car il ne dit point du tout qu’il approuve cette entreprise, ni que celui qui est l’objet de l’hommage en soit digne ; il dit qu’il y prend part, et qu’il croit en avoir le droit. J’aime cette manière de se venger ; mais je n’aime pas les singes. La Beaumelle, qui est venu à Paris après quinze ans de séjour en Languedoc pour