Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lèbres artistes de notre Académie de peinture, est mort dans les derniers jours du mois de mai, à l’âge de soixante-six ans. Il avait depuis longtemps l’air d’un spectre, et toutes les infirmités inévitables d’une vie consumée dans le travail et dans le dérèglement des plaisirs. Il avait une fécondité prodigieuse : aussi ses productions sont innombrables ; les cabinets de nos amateurs sont couverts de ses tableaux, leurs portefeuilles sont remplis de ses dessins. On l’appelait le peintre des grâces, mais ses grâces étaient maniérées ; c’était un maître bien dangereux pour les jeunes gens : le piquant et la volupté de ses tableaux les séduisaient, et, en voulant l’imiter, ils devenaient détestables et faux. Plus d’un élève de l’Académie s’est perdu pour s’être livré à cette séduction. On pouvait appeler Boucher le Fontenelle de la peinture : il avait son luxe, sa recherche, son précieux, ses grâces factices ; mais il avait plus de chaleur que Fontenelle, qui, étant plus froid, était aussi plus sage et plus réfléchi que Boucher. On pourrait faire un parallèle assez intéressant entre ces deux hommes célèbres l’un et l’autre, dangereux modèles, ont égaré tous ceux qui ont voulu les imiter. L’un aurait perdu le goût en France s’il ne s’était pas montré immédiatement après lui un homme qui, joignant le plus grand agrément à la simplicité et à la force du style, nous a dégoûtés pour jamais du faux bel esprit ; l’autre a peut-être perdu l’école française sans ressource, parce qu’il ne s’est pas trouvé à l’Académie de peinture un Voltaire pour préserver les élèves de la contagion. Malgré tous les griefs que les hommes d’un goût noble et sévère allégueront avec raison contre Boucher, dans l’état où est notre école, sa mort est une perte très-grande. Il a été précédé chez les morts par ses deux gendres. Deshays, peintre d’histoire, mourut, il y a quatre ou cinq ans, dans la force de l’âge ; c’était le seul qui aurait pu nous consoler de la perte de Carle Van Loo. Baudouin, son second gendre, est mort l’hiver dernier, jeune aussi, épuisé par le travail et par les plaisirs. Il peignait à gouache ou en miniature, et il s’était fait un petit genre lascif et malhonnête qui plaisait beaucoup à notre jeunesse libertine. Boucher fut nommé premier peintre du roi après la mort de Carle Van Loo. Les fonctions de cette place sont très-étendues et très-belles : le premier peintre est l’ordonnateur de tous les ouvrages de peinture et de sculpture que Sa Majesté fait faire ;