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d’un débit naturel et d’une prononciation aisée ; elle ne parle pas du crâne et à la petite octave, comme Mme Laruette et Mme Trial. Sa figure est celle d’une belle fille, mais non pas d’une actrice agréable. Mettez à souper Mlle Ménard, fraîche, jeune, piquante, à côté de Mlle Arnould, et celle-ci vous paraîtra un squelette auprès d’elle ; mais au théâtre ce squelette sera plein de grâce, de noblesse et de charme, tandis que la fraîche et piquante Ménard aura l’air gaupe. Elle m’a paru avoir la tête un peu grosse, et la carcasse supérieure de ses joues est un peu trop élevée, ce qui empêche que le visage ne joue. On a beaucoup parlé de la beauté de ses bras ; ils sont très-blancs, mais ils sont trop courts et ont l’air de pattes de lion. En général, sa figure est un peu trop grande et trop forte pour les rôles tendres, naïfs et ingénus, comme sont la plupart des rôles de nos opéras-comiques. S’il faut dire ce que je pense de son talent, je crois qu’il sera plutôt le fruit de son application que d’un naturel heureux ; mais une étude continuelle et opiniâtre peut aussi lui faire faire des progrès prodigieux : Mme Laruette a été au théâtre plusieurs années sans se douter d’aucun de ses rôles ; elle en joue aujourd’hui plusieurs avec une grande finesse. Je suis donc de l’avis du public, qu’il faudrait recevoir Mlle Ménard à l’essai. Elle paraît être capable d’une grande application. On prétend que son premier métier a été celui de bouquetière sur les boulevards, mais que voulant se tirer de cet état, qui a un peu dégénéré de la noblesse de son origine depuis que Glycère vendait des bouquets aux portes des temples, à Athènes, elle a acheté une grammaire de Restaut, et s’est mise à étudier la langue et la prononciation françaises, après quoi elle a essayé de jouer la comédie. Ce qu’il y a de sûr, c’est que, pendant son début, elle s’est adressée à tous les auteurs, musiciens et poëtes pour leur demander conseil et profiter de leurs lumières avec un zèle vraiment infatigable et une docilité qui a eu pour récompense les applaudissements qu’elle a obtenus dans les différents rôles qu’elle a joués. M. de Péquigny, aujourd’hui duc de Chaulnes, protecteur de ses charmes, ou, en style vulgaire, son entreteneur, la fait peindre par Greuze : ainsi, si nous ne la conservons pas au théâtre, nous la verrons du moins au Salon prochain.

M. Boucher, premier peintre du roi et l’un des plus cé-