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goguenard et moitié jaloux, a fait avertir le corregidor, qui, comptant enlever un mauvais sujet, reconnaît dans la personne enlevée le meurtrier de son neveu. M. de Cailly avait beaucoup compté sur ce jardinier de son invention ; mais ni sa gaieté triviale, ni les nobles procédés de son maître, n’ont pu soutenir la pièce pendant trois actes mortels pour les spectateurs, et par contre-coup pour l’auteur. Malgré l’enjouement que Caillot cherchait à prêter à son rôle de jardinier, malgré toute la dépense du poète en sentiments héroïques, et nobles et tristes, la pièce fut sifflée avant-hier sur le théâtre de la Comédie-Italienne. La musique était d’un jeune musicien de Marseille appelé Saint-Amand. Elle aurait pu réussir il y a quinze ans, parce qu’on se contentait alors de notes et de quelques effets d’harmonie fort communs en Italie ; mais depuis quinze ans nous avons fait quelques progrès ; on veut aujourd’hui de l’invention et des idées dans la musique, et celle de M. de Saint-Amand n’en est pas pourvue : il n’y a donc rien à regretter dans cette chute.

Mlle Ménard a débuté sur le théâtre de la Comédie-Italienne dans les rôles de Mme Laruette, qui est allée aux eaux de Spa pour sa santé, et que nous ne verrons reparaître sur la scène que l’hiver prochain. Mlle Ménard a joué Lucine, Rose, la petite pupille, dans On ne s’avise jamais de tout, et d’autres rôles de ce genre ; mais le rôle dans lequel elle a le plus réussi, c’est celui de Louise, dans le Déserteur on convient assez généralement qu’elle l’a mieux joué qu’aucune de nos actrices les plus applaudies, et qu’elle y a mis des nuances qui ont échappé à Mme Laruette et à Mme Trial. Elle a moins réussi dans les autres, et l’on peut dire qu’elle a joué avec une inégalité vraiment surprenante. Elle s’est fait beaucoup de partisans ; les auteurs, poètes et musiciens, sont dans ses intérêts : malgré cela, M. le maréchal de Richelieu, kislar-aga des plaisirs du public, c’est-à-dire des spectacles de Paris, ne veut pas même qu’elle soit reçue à l’essai ; il sait mieux que nous ce qui doit nous faire plaisir pour notre argent. La voix de Mlle Ménard est de médiocre qualité ; elle a eu un mauvais maître à chanter, et si elle persiste dans sa mauvaise méthode, son organe deviendra aigre et glapissant ; mais avec de meilleurs principes, et apprenant à gouverner sa voix, son chant pourra devenir assez bon pour ne pas déparer son jeu. Quant à celui-ci, elle a d’abord l’avantage