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se trouve-t-il au comble de ses vœux et en possession de la belle Mencia, qu’il est obligé de tuer le neveu du corregidor de Valladolid en duel, et de s’enfuir pour se dérober à la vengeance de ce dernier. Sa femme, après ce malheur, tombe dans l’indigence et dans la mélancolie ; et, pour combler ses infortunes, elle apprend que don Alvar, cet époux si tendrement chéri, est mort en Portugal dans la misère. Un vieux seigneur, don Ambrosio de La Guardia, touché des vertus et des malheurs de Mencia, lui offre sa main, qui est acceptée plutôt par reconnaissance que par goût. Ce choix est celui de sa raison ; car l’image de l’infortuné Alvar est toujours présente à sa veuve désolée : elle lui est si bien présente qu’un jour elle le voit double, parce que le véritable don Alvar n’avait fait répandre le bruit de sa mort que pour sa sûreté, et était revenu en secret du Portugal pour se remettre en possession de dona Mencia, le plus cher de ses biens. Vous pouvez voir dans le roman de Gil Blas les suites de ce retour imprévu et le rôle que l’illustre Gil Blas eut à jouer auprès de la dame.

M. de Cailly, trésorier de M. le comte d’Eu, a choisi l’histoire de dona Mencia pour en faire un opéra-comique ou une comédie mêlée d’ariettes[1]. C’est son coup d’essai dans le genre dramatique et même en littérature ; il s’est réveillé poëte un beau matin, mais un peu tard ; car il peut dire comme Francaleu dans la Métromanie :


Et j’avais cinquante ans quand cela m’arriva.


M. de Cailly n’a pas dénoué l’histoire de Mencia comme l’auteur du roman. Pour nous renvoyer contents, il fait reparaître don Alvar au moment où elle revient de l’église et de l’autel, en face desquels elle vient d’épouser don Ambrosio. Ce vieux seigneur la conduit dans une de ses maisons de campagne pour y consommer son mariage ; mais avant la nuit destinée à son accomplissement, don Alvar est reconnu ; le généreux Ambrosio non-seulement lui cède sa femme, mais lui obtient encore le pardon de la cour et des lettres de grâce pour le passé. Il revient avec ces nouvelles au moment où son jardinier, moitié

  1. Dom Alvar et Mencia, ou le Captif de retour, représenté le 13 juin 1770.