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déchirer ceux dont les conseils lui apprendraient peut-être à tirer un meilleur parti de son talent. Il ne tardera pas à dire, comme Palissot, qu’il n’est pas trop sûr d’être bien aise d’avoir fait sa pièce. Du moins faudrait-il que sa satire fût gaie ; mais elle est triste, et l’auteur ne sait pas le secret de nuire avec succès.

« Il ne m’appartient pas, monsieur, de vous donner des conseils ; mais si vous pouvez faire en sorte qu’il ne soit pas dit qu’on ait deux fois, avec votre permission, insulté en public ceux de vos concitoyens qu’on honore dans toutes les parties de l’Europe ; dont les ouvrages sont dévorés de près et au loin ; que les étrangers révèrent, appellent et récompensent ; qu’on citera, et qui conspireront à la gloire du nom français quand vous ne serez plus ni eux non plus ; que les voyageurs se font un devoir de visiter à présent qu’ils sont, et qu’ils se font honneur d’avoir connus lorsqu’ils sont de retour dans leur patrie, je crois, monsieur, que vous ferez sagement. Il ne faut pas que des polissons fassent une tache à la plus belle magistrature, ni que la postérité, qui est toujours juste, reverse sur vous une petite portion du blâme qui devrait résider tout entier sur eux. Pourquoi leur serait-il permis de vous associer à leurs forfaits ? Les philosophes ne sont rien aujourd’hui, mais ils auront leur tour : on parlera d’eux, on fera l’histoire des persécutions qu’ils ont essuyées, de la manière indigne et plate dont ils ont été traités sur les théâtres publics ; et si l’on vous nomme dans cette histoire, comme il n’en faut pas douter, il faut que ce soit avec éloge. Voilà mon avis, monsieur, et le voilà avec toute la franchise que vous attendez de moi ; je crains que ces rimailleurs-là ne soient moins les ennemis des philosophes que les vôtres.

« Je suis, avec respect, etc. »

Voilà l’histoire et le sort de l’Homme dangereux, production d’un pied-plat qui voudrait bien être dangereux, et qui ne peut y réussir. Mais n’est pas dangereux qui veut, et l’envie de nuire n’en donne pas plus le talent que la vanité ne donne les moyens d’être grand. S’il est vrai que Palissot soit l’auteur de cette pièce[1], puisqu’il aime encore mieux le mépris public que

  1. Palissot est bien l’auteur de cette pièce, représentée douze ans plus tard ; voir ci-après mai 1782. (T.)