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seraient injustement reprochés, je vous réitère que si j’avais été le censeur du Satirique, j’aurais souri à toutes ses injures, n’en aurais fait effacer aucune, et les aurais regardées comme des coups d’épingle plus douloureux à la longue pour l’auteur que pour moi. Cet homme, quel qu’il soit, croit n’avoir aiguisé qu’un couteau à deux tranchants : il s’est trompé, il y en a trois ; et le tranchant qui coupe de son côté le blessera plus grièvement qu’il ne pense. Quelle est la morale de sa comédie ? c’est qu’il faut fermer sa porte à tout homme d’esprit sans principes et sans probité. On la lui appliquera, et le sort qui l’attend, c’est le mépris et une demeure à côté de Palissot.

« Je ne crois pas que la pièce soit de ce dernier ; on n’est pas un infâme assez intrépide pour se jouer soi-même, et pour faire trophée de sa scélératesse. Si c’est de M. de Rulhière, coupable de la même indignité que Palissot, il est plus vil que lui, puisqu’il s’en cache.

« Au reste, monsieur, si l’auteur croit que quelques vers heureux suffisent pour soutenir un ouvrage dramatique, il en est encore à l’a b c du métier. Le sien est sans verve, sans génie, sans intérêt. Son Oronte est plat ; ce n’est qu’une mince copie de l’Orgon de Molière, dans le Tartuffe. Son Dorante aurait de belles et bonnes choses à dire qui le caractériseraient ; mais l’auteur ne pouvait les trouver ni dans son cœur, ni dans son esprit ; et ce personnage, prétendu philosophe, n’est pas même de l’étoffe d’un homme du monde. Le Satirique, faible contrepartie du Méchant de Gresset, n’en a ni la grâce, ni la légèreté. Julie est une fille mal élevée qui conspire avec sa soubrette, bassement, et contre toute délicatesse d’une personne de son état, pour attirer le Satirique dans un piége. Le Satirique, qui se fie à ces deux femmes, est un sot. Dorante, qui souffre patiemment devant lui un coquin qui a composé et mis sur son compte un libelle contre un tuteur honnête dont il aime la pupille, est un lâche. Cela est sans mouvement et sans chaleur, et tous ces personnages ne semblent agir que pour prouver que toute idée d’honnêteté est étrangère à l’auteur. Aussi suis-je persuadé qu’il y a tout à perdre pour lui, et qu’il ne lui restera que l’ignominie d’avoir fait des tirades contre des gens de bien, ce qui ne sera pas compensé par le très-mince et très-passager succès d’une très-médiocre pièce. Je plains cet homme de