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emploierait son crédit auprès de M. le maréchal de Richelieu pour empêcher la représentation de cette abominable satire ; qu’on lui avait dit qu’elle était de M. de Rulhière, mais qu’il ne pouvait ni ne voulait le croire, parce que cet homme de lettres était venu passer trois jours avec lui dans sa retraite, et lui avait donné toutes sortes de marques de considération ; que si de tels témoignages devaient être suivis de telles noirceurs, il fallait désormais fuir le genre humain. Après cette lettre, on ne pensa plus à Palissot ; on se moqua beaucoup de Rulhière, qui, avec des mœurs équivoques et le goût pour la mauvaise compagnie, voudrait pourtant n’être pas décrié dans la bonne, et se trouva très-humilié que Palissot eût rendu public le séjour qu’il avait fait chez lui à Argenteuil. Rulhière crut devoir faire l’apologie de sa visite dans les formes ; il disait qu’un observateur, un philosophe, devait être curieux de voir toutes sortes de caractères, et que cette curiosité louable l’avait déterminé au voyage d’Argenteuil ; qu’un honnête homme se permettait par le même motif, de temps à autre, d’aller dans un mauvais lieu… « Mais, monsieur de Rulhière, y rester trois jours ! trois jours dans un mauvais lieu ! Que voulez-vous ? Puisqu’il faut tout dire, Palissot avait avec lui une petite créature dont j’avais la tête tournée. » Combien d’efforts pour une apologie que personne ne demandait !

Quelques jours après sa lettre, Palissot arrive chez l’abbé de Voisenon. Celui-ci lui dit : « Soyez tranquille ; M. de Sartine ne veut pas que la pièce soit jouée, et vous pouvez être sûr qu’elle ne le sera point. Eh, mais, tant pis, lui répond Palissot, je n’avais écrit ma lettre que pour donner le change au public, et le dépayser mais après vous avoir fait faire quelques démarches pour moi contre la pièce, et vous avoir adressé à M. le maréchal de Richelieu, qui, étant dans le secret, ne vous aurait pas cédé, je venais vous dire que je suis l’auteur de la pièce, et vous prier de ne pas pousser votre zèle plus loin. » Quoique l’abbé de Voisenon n’ait jamais été cité pour la sévérité de ses principes de morale, il resta confondu de cette impudence, et promit à Palissot de la publier partout. Il lui tint parole. Palissot, voyant que cette fois son infamie ne réussissait pas plus dans le public que chez l’abbé de Voisenon, prit le parti de nier qu’il eût confié à l’abbé qu’il était l’auteur