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revenir au galimatias, quand même il aurait l’air philosophique ; il nous faut aujourd’hui des penseurs, des têtes neuves pour captiver notre suffrage, et non des retourneurs d’idées et de paroles, ou des raisonneurs à perte de vue. Ceux-ci écriront pour l’instruction ou l’amusement des esprits communs comme eux, à la bonne heure : il n’y a pas de mal qu’un plat lecteur lise un plat auteur, et croie en être devenu plus savant ; mais à condition qu’ils restent dans le calendrier, relégués parmi le commun des martyrs, car, pour être chômé exprès et nommément, il faut avant tout être au niveau de son siècle.


15 juin 1770.

On a voulu renouveler, ces jours-ci, sur le théâtre de la Comédie-Française, le scandale produit il y a tout juste dix ans par la comédie des Philosophes. M. le maréchal de Richelieu a présenté aux Comédiens français une pièce en vers et en trois actes, intitulée le Satirique, ou l’Homme dangereux. Il leur a recommandé de se mettre tout de suite en état de la jouer. Les Comédiens ont voulu, suivant l’usage, la porter d’abord à la censure de la police pour avoir son approbation. M. le maréchal, en qualité de leur supérieur, s’y est opposé ; il a dit qu’il en faisait son affaire, et que, dès que la pièce serait sue, il apporterait l’approbation de la police. On devait donc jouer l’Homme dangereux ces jours derniers ; mais la police, après avoir fait examiner la pièce, n’a pas jugé à propos, malgré la protection de M. le maréchal de Richelieu, d’en permettre la représentation.

Ce refus de la police a donné de la célébrité à la pièce. On en a voulu connaître l’auteur. Les uns disaient qu’elle était de Palissot, d’autres soutenaient qu’elle en était si peu, que Palissot y était encore plus maltraité que les philosophes. On attribuait donc la pièce à Rulhière, qui la désavouait hautement. Palissot lui-même crut devoir quitter son asile d’Argenteuil, où il vit depuis longtemps, dans une honorable retraite, avec Mlle Fauconnier et quelques autres vertus de ce genre. Il écrivit à l’abbé de Voisenon qu’il venait d’apprendre qu’on était sur le point de jouer à la Comédie-Française une pièce où il était déchiré à belles dents ; qu’il espérait que l’abbé de Voisenon