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Discours sur le danger des sciences d’une lettre de Lilio Giraldi à Pic de La Mirandole. Il traduit cette lettre, et accuse l’orateur de Genève de plagiat. C’est par cette accusation que le Diogène moderne a réussi à faire un peu parler de lui.

— Je n’ai dit qu’un mot en passant de la Philosophie de la nature, ou Essai sur la morale de l’homme, ouvrage en trois volumes d’un jeune oratorien appelé M. Delisle[1] : cependant, comme ce livre a fait quelque sensation, je ne veux pas me mettre dans le cas de faire une seconde fois amende honorable. La jeunesse de l’auteur y perce à chaque page ; je voudrais pouvoir en dire autant de son talent. Si nous n’avions pas eu un Voltaire, si Diderot et Rousseau n’avaient jamais écrit, j’aurais peut-être conçu une haute opinion de M. Delisle : mais malheureusement je remarque dans son style une singerie continuelle de ces trois plumes célèbres ; point de morceau capital qui ne soit fait à l’imitation de quelque morceau d’un de ces trois écrivains : imitation secrète qui échappe au premier coup d’œil, mais qui est aperçue par des yeux un peu exercés. Est-ce une tête pensante que ce M. Delisle ? Je n’en sais rien ; mais son livre me ferait craindre que non. En résultera-t-il un écrivain avec le temps ? Je n’en sais rien ; mais je fonde peu d’espérance sur ceux qui, par leur coup d’essai, n’annoncent pas une manière décidée et qui leur appartienne. Il est dans la nature que de grands modèles engendrent une infinité de copistes, mais je ne crois pas dans la nature qu’un copiste devienne à son tour modèle. Je me sers, sans y penser, du dictionnaire de M. Delisle. Comme il a prétendu faire la Philosophie de la nature, titre que, par parenthèse, je n’ai pas l’esprit d’entendre, il interroge sans cesse la nature ; il dit qu’il faut attendre ses oracles, suivre ses impulsions… Quel diable de galimatias ! Et je suis persuadé que M. Delisle s’imagine de bonne foi avoir dit quelque chose. Mais qu’est-ce que la nature ? N’est-ce pas tout ce qui est ? Ce qui est n’est-il pas nécessairement ? Comment ce qui est peut-il être contraire à la nature ? Laissez faire ces enfants, et ils introduiront dans la philosophie une sorte de langage mystique qui n’aura aucun sens : mais il n’est pas à craindre qu’ils réussissent. Ma foi, nous sommes trop avancés vers la raison pour

  1. Voir tome VIII, page 510.