Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lorsque les sons de Grétry ne retentiront plus dans vos oreilles, et que votre imagination ne s’occupera plus du jeu de l’inimitable Caillot ; lorsque, tout étant en silence autour de vous, vous serez en état d’entendre la voix de votre conscience dans toute sa force, vous sentirez que vous faites un métier diablement scabreux pour une âme timorée. »

Je pourrais dire pour ma justification que c’est apparemment mon voyage de l’année dernière qui m’a empêché d’être témoin du grand succès de la traduction de M. Le Tourneur ; que, malgré mes perquisitions, je n’ai pu découvrir des témoins qui voulussent attester ce grand succès, excepté M. Colardeau ; que tout cela prouve en ma faveur plus qu’on ne pense, attendu qu’il en résulte que je ne vis ni avec des petits-maîtres ni avec des petites-maîtresses, à qui, selon Caton Diderot, M. Le Tourneur a tourné la tête par sa traduction. Mais je ne me permettrai aucune réclamation qui pourrait faire douter de la sincérité de ma pénitence ; je me soumets au contraire, en toute humilité, à la censure du philosophe, et me rends devant la porte du libraire Bluet, et là je déclare à haute et intelligible voix que mal à propos et sans raison j’ai attribué les honneurs de l’incognito à la traduction dont est question ; et émenderai en faisant graver à mes frais la censure de Denis Diderot, et la plaçant dans ma boutique à perpétuité, pour réparation de l’injustice par moi commise sans méchanceté, mais par une suite de la profession détestable que j’ai eu le malheur d’embrasser.

M. L. Castilhon est tombé, de propos délibéré, dans tous les inconvénients de ce mauvais métier, en publiant le Diogène moderne, ou le Désapprobateur, tiré en partie des manuscrits de sir Charles Wolban, et de sa Correspondance avec sir George Bedfort, sir Olivier Stewert, etc., sur différents sujets de littérature, de morale et de philosophie[1]. Ce Diogène est dédié à M. de Voltaire. Il y a deux frères Castilhon, l’un à Bouillon, l’autre à Paris. Ils écrivent beaucoup ; mais leur libraire aura bien de la peine à devenir aussi riche par leur fait que Bluet par le fait de M. Le Tourneur. Sir Wolban soutient, dans une de ses lettres, que M. Rousseau a tiré la meilleure partie de son

  1. 1770, 2 vol.  in-8°.