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« Adieu, mon cher dauphin. Soyez heureux ; je suis baignée de larmes. »

C’est tout ce qu’il y a à conserver de l’énorme fatras poétique et prosaïque que les Muses françaises ont offert au couple auguste à l’occasion de son mariage. Je me garderai bien de fouiller dans ce fatras. Croyez-vous, par exemple, qu’il soit au pouvoir d’un maître ès arts de l’Université, d’un M. Hartault, de mettre en mouvement de grands et respectables personnages comme le Destin, l’Amour, l’Hymen et la Félicité ? Il leur a cependant fait faire un pacte de famille à l’occasion de ce mariage, et il a eu la permission d’en présenter les conditions à M. le dauphin[1]. Je n’ai nulle envie de me mêler d’un pacte conclu sous la médiation du maître ès arts Hartault, dût-il être protégé par M. le duc de La Vauguyon. L’avocat Marchand, le meilleur plaisant du Marais, a fait, sur l’air des Feuillantines, une chanson populaire par laquelle il célèbre autant la misère du temps que le mariage de M. le dauphin. L’air qu’il a choisi exige qu’on répète trois fois les trois premières syllabes du dernier vers de chaque couplet avant de l’achever ; ainsi, c’est dans les jeux de mots que cette répétition occasionne que le poëte a mis une dépense d’esprit prodigieuse. Par exemple : Nous aurons un temps propice pour les so… pour les so… pour les soleils d’artifice. Ces choses ne se font pas, même au Marais, sans génie.

— La mort que le maître en fait d’armes et la fille de l’aubergiste de Lyon se sont donnée mutuellement dans le même instant a frappé d’admiration J.-J. Rousseau, qui s’est trouvé à Lyon dans le temps de cet événement. Cependant il résulte des éclaircissements pris à cette occasion que le héros était un mauvais sujet, et que l’héroïne avait la facilité de mœurs convenable à une fille d’auberge. S’il est vrai que le héros avait reçu un coup d’épée dans la poitrine, dont les suites lui permettaient trois mois de vie au plus, on ne voit en lui qu’un malhonnête homme qui abuse de la folie d’une jeune fille pour l’entraîner dans la tombe avec lui. Il était plus simple de s’en aller en Suisse, de s’y marier, et d’y vivre en honnêtes gens, en fidèles amants, que de mourir à Lyon comme des sots et des fous. Sous

  1. Le Pacte du Destin, de l’Amour, de l’Hymen et de la Félicité ; Paris, Pillot, 1770, in-8°.