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trésorier Villette ? Voilà les questions qu’il aurait fallu discuter et décider. Si la maison de Savoie n’a pas joui de quelque prérogative en France, c’est que les services que le prince de Carignan a rendus en se faisant entrepreneur de l’Opéra, et en faisant jouer chez lui des jeux de hasard, pour la plus grande ruine des mœurs et de la fortune des particuliers, ne sont pas tout à fait ceux que le prince Eugène aurait pu rendre à l’État. Le rédacteur du Mémoire, en parlant de la cour de Vienne et du rang des princes de l’empire dans cette cour, ne se doute seulement pas de la différence qu’on y fait entre les princes appelés d’ancienne maison souveraine et les princes de nouvelle création. On croirait que quand on se fait l’avocat du premier et du plus illustre corps de la monarchie, il n’y aurait pas de mal à savoir les faits dont on a besoin, et qu’on se permet de rapporter. Un bel esprit s’est amusé à composer une lettre de l’impératrice-reine à M. le dauphin, à l’occasion de son mariage. Cette lettre passa pour authentique pendant quelques jours, et eut beaucoup de succès ; lorsqu’on sut qu’elle ne l’était pas, elle fut oubliée. En faveur de son succès, il faut la conserver ici.

« Votre épouse, mon cher dauphin, vient de se séparer de moi. Comme elle faisait mes délices, j’espère qu’elle fera votre bonheur ; je l’ai élevée en conséquence, parce que depuis longtemps je prévoyais qu’elle devait partager votre destinée. Je lui ai inspiré l’amour de ses devoirs envers vous, un tendre attachement, l’attention à imaginer et à mettre en pratique les moyens de vous plaire. Je lui ai toujours recommandé avec beaucoup de soin une tendre dévotion envers le maître des rois, persuadée qu’on fait mal le bonheur des peuples qui nous sont confiés quand on manque à celui qui brise les sceptres et renverse les couronnes comme il lui plaît. Aimez le bonheur des peuples sur lesquels vous régnerez toujours trop tôt. Aimez le roi votre aïeul ; inspirez et renouvelez cet attachement à ma fille. Soyez bon comme lui ; rendez-vous accessible aux malheureux. Il est impossible qu’en vous conduisant ainsi, vous n’ayez le bonheur en partage. Ma fille vous aimera, j’en suis sûre, parce que je la connais ; mais plus je vous réponds de son amour et de ces soins, et plus je vous recommande de lui vouer le plus tendre attachement,