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jourd’hui plus orthodoxement et plus scrupuleusement observée à la cour de Versailles que dans aucune autre cour de l’Europe, cette science si compliquée et si nécessaire au maintien de l’ennui et de la maussaderie, est du ressort de la théologie la plus sublime et la plus abstraite.

Si, persistant dans l’hérésie et dans l’ignorance des vérités révélées sur cet important sujet, j’avais le malheur de juger la requête de la noblesse suivant les règles trompeuses de la saine raison, je dirais que le rédacteur du Mémoire n’a pas seulement connu l’état de la question. Tous ses raisonnements et la force de ses exemples portent sur un objet indifférent à la question, savoir, que les princes étrangers qui se trouvent en passant à quelque cour n’y ont point de rang, et que les distinctions qu’on leur accorde peuvent exciter des réclamations. S’il est vrai que M. l’évêque de Noyon, en présentant au roi la requête, a fait observer à Sa Majesté que les princes de son propre sang ne jouissaient dans les cours étrangères d’aucune prérogative, il a dit une vérité qui ne fait rien à la chose. Il serait aussi embarrassant qu’inutile d’accorder un rang dans une cour à chaque prince qui s’y trouve en passant ; sa présentation sous le simple nom de gentilhomme et l’incognito obvient à une foule de discussions interminables. Mais ici il s’agit de princes étrangers pour ainsi dire naturalisés, établis à la cour à forfait, attachés au service de la couronne. Il est évident que leur état et leur rang doivent être décidés, et que c’est une question purement de fait. S’il était possible qu’un prince du sang de France allât s’établir dans quelqu’une des monarchies de l’Europe, serait-il impossible qu’il jouit de quelque prééminence dans la cour de cette monarchie ? Supposez que Louis XIV eût à propos donné un régiment au prince Eugène de Savoie, et que ce grand homme eût rendu à la France les services qu’il a rendus à la maison d’Autriche ; qu’il eût laissé des descendants à la cour de Versailles : nos rois n’auraient-ils pu accorder à de si grands services aucune distinction ? La plénitude de leur puissance, qui s’étend quelquefois jusqu’à régler notre opinion sur l’honneur, n’aurait-elle pas suffi pour récompenser, par de grandes prérogatives, de grands talents unis à une haute naissance, et le fils du prince Eugène de Savoie aurait-il été à la cour de France nécessairement et essentiellement de pair à compagnon avec le fils du