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Quoique cette réponse favorise évidemment la prétention des grands et de la noblesse, ou mette du moins tous leurs droits à couvert, ceux-ci ne crurent pas devoir s’en contenter ni se préparer à assister au bal paré, et, le jour fixé pour cette cérémonie, la plupart des dames qui devaient danser le menuet affectèrent de traverser les appartements de Versailles en négligé ou, comme on dit noblement aujourd’hui, en chenille. L’agitation fut extrême, et l’on prétend que Sa Majesté fut obligée de se mettre en colère pour déterminer les dames à danser leur menuet. Ce qu’il y a de sûr, c’est que les dames ne prirent le parti de la soumission aux volontés du roi que dans l’après-midi, et que Sa Majesté se trouva dans le cas de différer l’ouverture du bal pour laisser aux dames le temps d’achever leur toilette. Mlle de Lorraine dansa donc son menuet immédiatement après les princesses du sang ; mais, après ce menuet, le roi fit danser à M. le comte d’Artois, qui avait dansé à son rang, un second menuet avec Mme de Laval, après quoi M. le prince de Lambesc dansa le sien avec Mme de Duras, si je ne me trompe. Ainsi, dans le fait, la maison de Lorraine a plus perdu que gagné dans cette occasion : car, pour que sa prérogative fût établie et reconnue sans difficulté, il eût fallu que le prince de Lambesc et sa sœur dansassent avant tous les hommes et toutes les dames de la cour. Il est vrai que, pour faire danser une femme de qualité avant M. le prince de Lambesc, on a trouvé le tempérament de faire danser un second menuet au petit-fils du roi, à qui personne dans le royaume n’a rien à disputer ; mais cet expédient même est une innovation, parce que, dans la hiérarchie imperturbable du bal paré, chacun doit danser le menuet à son rang, et-nul ne peut en danser un second que tous les danseurs acceptés n’aient dansé le leur.

La maison de Lorraine n’a rien opposé au Mémoire de la noblesse : si elle avait voulu plaider sa cause, elle n’aurait pas, je crois, laissé de dire des choses embarrassantes pour ses adversaires. Elle aurait combattu le principe qu’il ne peut y avoir de rang intermédiaire entre la famille royale et la noblesse par le fait : car, si ce rang existe, il est inutile de raisonner à perte de vue pour prouver qu’il ne peut exister. Or, il est incontestable que les princes de la maison de Lorraine reçoivent le cordon bleu à l’âge de vingt-cinq ans, c’est-à-dire dix ans plus tard