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menait sa fille, depuis reine d’Angleterre, pour épouser le duc d’York ; les grands d’Espagne n’ont fait aux ducs de Lorraine d’autre honneur que celui de les laisser asseoir à l’extrémité du même banc qu’eux ; MM. de Lorraine n’ont pu obtenir à la cour de Vienne même, où règne le chef de leur maison, d’autres honneurs que ceux qui sont communs à tous les princes de l’empire.

« Les grands de votre royaume, sire, ne sont point inférieurs à ceux de tant d’États, qui regarderaient comme une offense pour eux et pour leur nation la prétention de les précéder chez eux. Ce serait douter de la prééminence de la France en Europe que de douter de la prééminence de ceux qui, aux termes d’un de vos ancêtres, font partie de son honneur et du propre honneur de ses rois[1].

« La noblesse française ne cède, sire, à aucune du monde entier par son ancienneté, par l’éclat de ses actions, par les grands hommes qu’elle a produits. Elle compte parmi ses ancêtres des descendants d’empereurs, de rois et d’autres souverains ; elle y compte des maisons à qui leurs alliances ont ouvert des droits sur plusieurs trônes de l’Europe ; elle ne connaît en un mot au-dessus d’elle que le sang de ses rois, parce qu’elle ne voit que dans ce sang auguste ceux qui, par les lois de la monarchie, peuvent devenir ses souverains.

« Ce sentiment, qui fait le caractère propre de la nation, et qui dans la nation distingue surtout votre noblesse ; cet amour inaltérable pour nos rois, que les vertus de Votre Majesté ont encore augmenté, ne nous rend que plus sensibles les moindres atteintes que l’on peut donner au rang que nous avons toujours tenu auprès du trône ; mais, sire, votre bonté et votre justice nous rassurent. Si Votre Majesté a bien voulu donner des preuves de sa complaisance dans une occasion qui fait le bonheur et l’espérance de toute la France, elle ne voudra pas qu’un si beau jour soit une époque de douleur pour la noblesse française, et daignera dissiper ses craintes en déclarant que son intention est de conserver l’ordre établi dans le royaume depuis le commencement de la monarchie, maintenu par tous ses prédécesseurs, et dont elle a bien voulu elle-même, en 1718,

  1. Lettre de Philippe le Bel au pape Clément V.