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fait plus que le ministre le plus despotique et le commis le plus hardi n’oseraient se permettre, et la pauvre vicomtesse a l’humiliation de lui être ensuite redevable de sa meilleure fortune : car personne ne plaide pour son innocence, ne prend sa défense, et le modèle des grâces et des vertus resterait à jamais enseveli dans cette retraite, sans la générosité de M. Dorat qui, ne sachant comment réparer le mal qu’il a fait un peu étourdiment, mène le vieux mari à la chasse où il lui casse le cou. Le malheureux se repent en mourant, et rend enfin justice à une femme incomparable qu’il a si longtemps et si cruellement persécutée, de sorte que rien n’empêche qu’après le deuil le chevalier n’épouse sa charmante veuve, et, par ce moyen, les sacrifices de l’amour finissent par un sacrifice à l’amour. M. Dorat a oublié de faire raser et enfermer à Sainte-Pélagie sa petite madame d’Ercy, et c’est une étourderie qui n’est pas trop pardonnable dans un homme qui donne des lettres de cachet avec tant de facilité.

On a impitoyablement déchiré ce roman on l’a trouvé de mauvais ton, de mauvais goût, détestable en tout point ; mais il ne méritait pas cet acharnement : c’était tout simplement une pauvreté à oublier. Au milieu de ce déchaînement, l’édition s’est épuisée, et l’on n’en trouve plus que quelques exemplaires de parade, d’un papier plus beau et plus cher ; preuve bien affligeante de la quantité énorme de désœuvrés dont la capitale est encore surchargée, et qui ont assez de temps à perdre pour lire des fadaises qu’ils jettent ensuite avec dédain. La sensation que ce roman a faite n’a cependant pas été sans motif. On a prétendu y reconnaître le fond d’une histoire véritable, ou du moins le dessein de l’auteur de mettre en scène des personnes connues ; on a assuré que tous les acteurs étaient historiques, et c’est ce qui a piqué la curiosité du public. Voici la clef du roman, certifiée véritable par ceux qui sont dans le secret de l’auteur :

L’incomparable vicomtesse de Senanges est une Mme la comtesse de Beauharnais, que le public ne connaissait jusqu’à présent que comme fort élégante, éclipsant toute beauté rivale ; du reste, un peu soupçonnée et accusée par d’autres dames du bon ton de mettre du blanc, ce qui a donné occasion à M. de Pezay de lui adresser l’épître la plus ridicule et la plus labo-