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meil lui retraçaient en rêve l’image de son vertueux et tendre chevalier. Il fut sur le point de devenir coupable, lorsque la vicomtesse, réveillée en sursaut, le ramena par un seul mot à ses principes, en lui faisant gagner la porte sans avoir besoin de sonner ses femmes. Vous croyez bien que cette expédition nocturne ne fut pas aisément pardonnée au pauvre chevalier si fougueux, si entreprenant à la porte vitrée, si réservé, si docile au moment décisif. M. Dorat met tout sur le compte de l’égarement des sens ; et il faut être juste, ce n’est pas de la part de l’auteur un égarement du sens commun, comme on serait tenté de le croire, c’est simple manque d’invention, c’est cette maudite stérilité de tête qui l’a forcé de s’en tenir à ces misérables expédients pour brouiller les cartes.

Au fond, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat dans les entreprises du preux chevalier. Mais à peine cet orage est-il apaisé, que M. Dorat en suscite un autre bien plus terrible et s’abandonne aux moyens les plus violents pour tourmenter ces innocents amants. M. de Senanges, vieux, emporté, et né trop jaloux pour être jamais heureux par l’amour, s’était séparé de sa femme à l’amiable ; il vivait dans ses terres en hibou, et laissait à sa jeune et vertueuse épouse la liberté de vivre à Paris, chez un oncle très-digne homme, en odeur si ce n’est de sainteté, du moins de beauté et de bonne conduite. Tout à coup, M. Dorat ramène ce mari détestable et furieux de ses terres à Paris, pour chagriner sa femme de nouveau, à l’instigation d’une petite coquine de marquise. Cette petite marquise d’Ercy, au char de laquelle le chevalier avait été attaché avant de se vouer à Mme de Senanges, avait caché le désir de s’en venger sous une apparente indifférence ; c’est elle qui dicta et dirigea les démarches du mari ; les deux amants en furent la victime. Le chevalier, pris au dépourvu, assailli un soir dans la rue, remboursa un bon coup d’épée ; après cet exploit, le jaloux obtint une lettre de cachet pour faire enfermer sa femme dans un couvent. Ainsi cette personne céleste, d’une conduite irréprochable, et représentée comme l’idole du public par la réunion de la beauté et de la jeunesse aux vertus les plus touchantes, est enlevée de la maison de son oncle, homme aussi très-considéré, comme une femme de mauvaise vie, et fourrée dans une abbaye de province située au milieu d’un pays triste et sauvage. M. Dorat