Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’intérêt, non pas à la vérité pour ceux à qui des études sérieuses ont rendu le goût sévère, et qui exigent même pour leur amusement une trempe de génie qu’on chercherait en vain dans ces productions légères ; mais je ne suis nullement étonné que le roman de Mme Riccoboni ait transporté nos jeunes femmes et nos gens du monde, sensibles à l’excès aux agréments et aux détails pleins de grâce et de délicatesse. Les événements de ce roman sont, il faut en convenir, très-romanesques ; mais les sentiments qu’ils inspirent et qu’ils font naître ne le sont pas ; ils sont d’une extrême justesse. Sophie de Vallière est une intéressante créature : son amant ne l’est pas autant, et je ne sais à quoi cela tient ; il manque, je crois, un peu de physionomie on n’a pas ses traits présents comme ceux de sa charmante maîtresse. Le premier volume est très-supérieur au second. Il y a de la langueur dans ce dernier. Le récit de milord Lindsey n’avance pas assez, il ne va pas au fait : on est d’abord impatienté, l’on finit par être ennuyé. Le moment du mariage de la mère de Sophie de Vallière avec son malheureux époux n’est ni bien choisi, ni bien traité ; il rend ce couple infortuné trop coupable envers Lindsey. Il fallait les marier dans la Caroline avant qu’ils eussent rencontré cet ami généreux. Les malédictions de leurs parents devenaient d’autant plus terribles qu’elles étaient prononcées sur un mariage accompli qu’ils ignoraient et qu’ils cherchaient à empêcher par tout ce que leur autorité connaissait de plus redoutable. La dissimulation de ces amants, leur obstination à se taire et à cacher leur lien à leur bienfaiteur, en devenaient d’autant plus intéressantes qu’elles éloignaient de leur caractère tout air d’ingratitude, de bassesse et de trahison. Quoi qu’il en soit de ces observations, elles ne tombent que sur les parents de Sophie de Vallière, qui n’ont que trop expié leurs fautes par une destinée des plus déplorables ; mais je vous défie de faire le plus léger reproche à leur aimable fille, bien digne assurément de tout le bien que Mme Riccoboni lui fait à la fin de son roman.

Passons au second roman, qui a aussi occupé le public, puisqu’il s’est déchaîné contre lui avec beaucoup trop de chaleur ; la chose n’en valait pas la peine. Ce roman a pour titre les Sacrifices de l’amour, ou Lettres de la vicomtesse de Senanges et du chevalier de Versenay ; deux parties in-8°, chacune ornée