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royaume ; ils n’y ont pris d’autres titres que ceux qui sont communs à toute la noblesse, et se sont honorés de marcher au rang des comtés, duchés et pairies qu’ils y ont obtenus.

« La maison de Lorraine elle-même a tellement reconnu cet ordre qu’elle a voulu se prévaloir des dignités de l’État pour précéder les princes du sang.

« C’est cet ordre ancien que Charles IX[1] voulut suivre à la cérémonie de son mariage, après la discussion la plus scrupuleuse qu’il en fit faire dans un conseil tenu à Soissons en 1570. Il y régla les rangs par l’ancienneté des duchés, comme avaient fait les rois passés, et répondit au duc de Nevers, de la maison de Mantoue, qui s’en plaignait, qu’il voulait suivre ce qu’il avait trouvé, et ne pouvait faillir en ce faisant.

« Quel titre, sire, pourraient vous présenter messieurs de Lorraine qui pût changer un ordre si respectable, qui pût leur donner le droit de se placer entre Votre Majesté et les grands du royaume, et d’abaisser au-dessous d’eux les premières dignités de la nation, les dignités dont ils se sont eux-mêmes servis, afin de plus décorer[2], élever et exalter eux et leur maison ; dignités par lesquelles ils ont cru devoir précéder les princes de votre sang, qu’ils ne pouvaient incontestablement pas précéder par leur naissance ? S’ils ont joui de quelques préférences momentanées sur les grands du royaume, c’est dans les temps où la faveur et les circonstances leur assuraient le succès de toutes leurs prétentions : doivent-ils les faire revivre dans des temps où la sagesse et la justice de Votre Majesté font le bonheur de ses sujets et la gloire de son règne ?

« La grandeur des premières dignités, dans tout État, marque celle des nations, et la grandeur des nations fait celle de leurs rois. De là vient, sire, qu’aucun de nos voisins ne souffre que des étrangers, même souverains, aient chez eux la préséance sur les grands de l’État. Aucune duchesse en Angleterre ne voulut céder le pas, en 1673, à la duchesse de Modène, qui y

  1. Voyez le manuscrit de la Bibliothèque du Roi, côté 8698, de ceux appelés Béthune, fol. 38. C’est un mémoire écrit de la main du duc de Nevers lui-même ; il y en a une copie au dépôt des pairs. (Note du Mémoire.)
  2. Terme des lettres d’érection du comté de Guise en duché-pairie, en faveur de Claude de Guise, en 1528. (Note du Mémoire.)