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chesses, et qui peut se croire assez riche pour soutenir à la longue cette dépense et pour se garantir de l’épuisement ?

Ce n’est pas qu’il n’y ait des choses d’une grande beauté, d’un grand charme, d’une grande délicatesse dans Zémire et Azor. Le premier air est bien fait et avec esprit. C’est l’esclave qui le chante ; il meurt de peur dans ce palais, il veut persuader à son maître que l’orage a cessé et que c’est le moment de se remettre en route, quoique l’orage soit encore dans toute sa force ; l’orchestre fait un vacarme épouvantable, tandis qu’Ali prétend qu’il n’y a plus ni vent ni pluie. Le duo entre le maître et l’esclave qui s’endort après avoir bien soupé est très bien fait aussi, et c’est bien la faute du poëte s’il ne fait pas plus d’effet. Ali bâille très-naturellement en musique. L’air de Sander :


La pauvre enfant ne savait pas
Qu’elle demandait mon trépas, etc.


est calqué par le poëte et le musicien d’après le Misero pargoletto, il tuo destin non sai ; mais M. Marmontel n’est pas encore un Metastasio, et l’air de M. Grétry ne fait point d’effet ; je ne sais à qui en est la faute. Le trio qui commence le second acte, entre les trois sœurs travaillant à la lumière d’une lampe en attendant le retour de leur père, ce trio est un chef-d’œuvre de sentiment et de délicatesse ; les paroles que M. Marmontel a fournies sont faites à ravir. L’air de Zémire : Rose chérie, mérite le même éloge ; mais Mme Laruette a été assez malavisée pour obliger M. Grétry à le tronquer. La lettre que Sander écrit à ses filles, lorsqu’il a le dessein de repartir, est en revanche bien maussadement mise en musique. Le dernier air de Zémire : Azor ! en vain ma voix t’appelle, est aussi un peu à la française, mais les accompagnements sont charmants, et pour imiter les échos d’un endroit sauvage où se passe la scène, le compositeur a placé des cors et des flûtes dans le cintre qui répètent jusqu’à deux fois, toujours en s’affaiblissant, les traits des cors et des flûtes de l’orchestre. Cette petite magie dont M. Grétry a usé trop sobrement a fait beaucoup de plaisir ; au reste, ce n’est qu’une imitation du même prestige employé par Tomaseo Traetta dans l’opéra de Sofonisba.

Mais c’est le troisième acte surtout qui a fait la fortune de -