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existé, et qu’on trouvera plus court de l’oublier que de lui accorder la célébrité qu’il mérite.

Zémire et Azor ont paru à la cour avec beaucoup de succès pendant le dernier voyage de Fontainebleau ; ils se sont ensuite montrés à Paris, au grand jour, le 16 décembre de l’année qui vient de finir, et y ont reçu le même accueil ; on a voulu voir jusqu’à leurs père et mère, c’est-à-dire que le parterre a demandé les auteurs avec des cris redoublés. Le compositeur, M. Grétry, a comparu, amené par les acteurs ; le poëte, M. Marmontel, s’est éclipsé à temps pour se soustraire aux honneurs de l’ovation théâtrale. Cependant le parterre, agité par le démon de l’enthousiasme, criant toujours : Adducite mihi psaltem, Arlequin s’est montré en habit de ville, sans masque. Il n’avait pas compté avoir affaire au public ce jour-là, et il était sur le point de gagner son gîte pour y souper modestement et tristement, comme s’il n’était pas un grand homme au sein de sa famille, à côté de sa chère et chaste moitié. Une partie du parterre crut voir arriver Marmontel ; mais Arlequin, trop grand, trop juste pour usurper une gloire qui ne lui appartenait point, arrêta les acclamations, et dit : « Messieurs, je vous avertis que je ne suis pour rien dans tout cela ; ainsi n’allez pas me prendre pour l’auteur. Nous l’avons cherché partout ; mes camarades ont été au grenier, tandis que j’étais à la cave ; nous n’avons pu le trouver ; enfin le portier est venu nous dire qu’il l’a vu sortir et monter en fiacre. » Cette noble harangue décida le parterre à se séparer, après avoir applaudi M. le duc d’Orléans et Mme la duchesse de Chartres, qui avaient assisté au spectacle en loge publique.

Je ne sais pourquoi messieurs du parterre n’ont pas voulu faire à Mme Le Prince de Beaumont l’honneur de la demander. C’est dans son Magasin des enfants que vous avez pu lire le conte charmant de la Belle et la Bête ; et c’est le sujet que M. Marmontel a mis sur scène, sous le titre de Zémire et Azor ; Zémire est la Belle, et Azor la Bête. De mauvais plaisants ont dit que la Belle était la musique, et la Bête les paroles ; mais les mauvais plaisants ne se piquent pas toujours d’être équitables, et ces pointes sont trop aisées à trouver pour en faire quelque cas.

De tous les ouvrages immortels de Mme Le Prince de Beau-