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uns de nos poëtes sans nom. Nous en avons eu deux cette semaine ; mais comme le public ne touche pas à ces denrées, il n’a pas le droit de s’en plaindre. La première a pour titre : Lettre de Julie d’Étange à son amant, à l’instant où elle va épouser Wolmar ; sujet tiré de la Nouvelle Héloise, dédiée à J.-J. Rousseau[1]. Vous vous rappelez que cette Héloïse de Jean-Jacques brûlait pour son précepteur dans le temps qu’elle se laissait marier au sage Wolmar. Si celui-ci avait intercepté l’héroïde de notre petit poëte, il aurait peut-être fait, dans un premier moment, un mauvais parti à l’amant et au secrétaire de sa prétendue. L’autre héroïde est intitulée Lettre du chevalier de Séricour à son père[2]. Ce Séricour est un petit gentilhomme de Normandie qui vient à Paris avec son père. Il se trouve logé vis-à-vis d’Achmet, riche musulman qui voyageait alors avec Fanie, sa fille. Séricour lorgne trop, pour son repos, cette fille céleste. Il en devient éperdument amoureux. Il abandonne son père, et suit le père turc à Constantinople. Celui-ci consent de lui donner sa fille s’il veut se faire circoncire et prendre le turban. Rien n’arrête l’amoureux Séricour. Le voilà musulman et époux de Fanie. Son père, qui apprend cette exécrable apostasie, le fait dégrader par les tribunaux et déclarer civilement mort. Cependant Séricour avait pris le turban à bonne fin. Il ne manquait jamais, après avoir rempli le devoir nuptial en bon chrétien et rarement en Turc, à ce que dit l’histoire, de traiter la controverse avec la céleste Fanie. Peu à peu il lui démontra l’abus de la circoncision et la nécessité du baptême. Achmet, trop attaché à la croyance de Mahomet, écoutait aux portes. Il ne fut pas frappé, comme sa fille, de la lumière de l’Évangile, et épiant le moment qui avait été choisi par les deux époux pour administrer à la charmante infidèle, ainsi qu’aux enfants qui lui étaient venus du fait de M. le chevalier, les eaux salutaires du baptême, il accourt pour poignarder sa fille et pour massacrer ses enfants. C’est dans cet instant funeste que le missionnaire circoncis apprend par son père le sort qu’on lui a ménagé en France. Après avoir mandé en réponse à son père toutes ses infortunes, il ne lui reste d’autre parti que celui de se faire

  1. Paris, 1772, Valade, in-8° ; par de Vauvert.
  2. Amsterdam et Paris, Valade, 1772, in-8° ; également de Vauvert.