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quement une de ses pièces de théâtre à M. Helvétius immédiatement après la persécution que le livre De l’Esprit lui avait attirée.

— Nous avons fait une autre perte l’automne dernier, d’un homme estimé et connu. M. Loyseau de Mauléon est mort à l’âge de quarante et quelques années[1]. C’était un honnête homme, mais d’une extrême faiblesse. Il n’était pas exempt de prétention ni d’ambition ; il avait d’ailleurs les idées morales un peu romanesques, ce qui, joint à peu de succès dans ses desseins, et à un esprit naturellement inquiet, n’a pas peu contribué à abréger sa vie. Il s’était distingué au barreau par la défense de quelques causes célèbres, et il poussa, dans cette profession, le désintéressement aussi loin que ses confrères portent le défaut contraire. Sa mauvaise santé et un peu d’ambition lui firent quitter le métier d’avocat il y a plusieurs années. Il acheta une charge de maître des comptes de Nancy, et resta cependant à Paris, et continua de faire quelques mémoires dans des procès qui fixaient l’attention du public. C’est alors que, n’étant plus, comme dit le peuple, ni chair ni poisson, son état indécis lui ôta sa contenance dans le monde. Sa pusillanimité naturelle fut mise à de fortes épreuves dans ces derniers temps. Ne voulant prendre aucun uniforme, ni celui de la cour ni celui de la robe, dans les querelles survenues, et ayant assez de présomption pour croire que tout le monde avait les yeux ouverts sur sa conduite, lorsque personne n’y pensait, il fut très-malheureux et très-décontenancé. Mais ce qui lui donna le coup de grâce fut de se voir couché sur l’état de la maison de M. le comte de Provence, à côté d’Élie de Beaumont et de Linguet, dont la réputation est infiniment hasardée. Il en fut si humilié que je regarde la publication de cet état comme son arrêt de mort. Il pouvait l’être encore d’être précédé dans le même état par Moreau ; mais il avait des liaisons particulières avec ce dernier, et croyait sans doute sa réputation moins attaquée ; en quoi il se trompait. Il s’était flatté de pouvoir aspirer à une place de l’Académie française. Cet espoir fut encore au nombre de ses prétentions infortunées. L’éloquence des avocats n’est pas assez estimée en France pour obtenir aisément les honneurs

  1. Il était né en 1728.