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mac, avant de se fixer aux extrémités. On prétend qu’il a abrégé sa vie par l’usage immodéré des plaisirs de sa jeunesse. Il voyait toujours des filles ; et si l’on en croit des bruits sourds, il faisait usage de remèdes pour se conserver une vigueur de tempérament qui commençait à l’abandonner. C’était un moyen infaillible de se tuer. Il était né robuste et bien constitué, et paraissait destiné à une longue vie. Depuis la paix de 1763, il fit successivement deux voyages, l’un en Angleterre, l’autre à Berlin et à Potsdam, auprès du roi de Prusse. L’impression qu’il fit sur ce monarque fut médiocre. Il avait toujours eu beaucoup de goût pour les Anglais, et son voyage de Londres ne diminua pas cette passion. Il était très-hospitalier dans sa patrie ; et pendant l’hiver, qu’il passait toujours à Paris, il faisait très-bien les honneurs chez lui aux étrangers. Personne n’était d’un accès aussi facile et d’une plus grande égalité dans le commerce. Son séjour à Paris n’était que de quatre mois. Le reste de l’année se partageait, dans ses terres, entre l’étude et la chasse. Il a travaillé depuis quelques années à la composition d’un grand ouvrage qui est achevé, et qui aura pour titre : De l’Homme, de ses facultés intellectuelles, et de son éducation[1]. Ce livre, qui est pour le moins de la même étendue que celui De l’Esprit, ne tardera pas, je crois, à paraître en pays étranger. Sa hardiesse aurait compromis l’auteur de plus belle, s’il eût paru de son vivant. On n’en permettra sûrement pas le débit en France. À en juger par ce que j’en ai vu, je doute que cet ouvrage obtienne même l’estime qu’on a accordée au livre De l’Esprit. M. Helvétius laisse une veuve fort affligée et deux filles fort riches, dont chacune aura au moins cinquante mille livres de rente ; ainsi elles n’auront que l’embarras du choix pour trouver des maris.

J’ai compté M. Saurin parmi ceux auxquels M. Helvétius a fait du bien. Cet académicien jouit, si je ne me trompe, d’une rente viagère de mille écus constituée par M. Helvétius. Depuis le mariage de celui-ci, leur liaison ne fut plus si suivie ni si intime ; mais M. Saurin eut toujours une conduite fort honnête avec son bienfaiteur, qui, de son côté, n’avait jamais pensé que le bienfait dût rompre l’égalité de l’amitié. M. Saurin dédia publi-

  1. 1773, 2 vol, in-8°.