Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/413

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— On ne dit point le monsieur, mon ami, cela est de mauvais ton… Eh bien ! par exemple, que pensez-vous de ce jeune homme ? — Vous avez prononcé sur son talent, mademoiselle ; je ne puis qu’applaudir à ce que vous lui avez dit. — Cela est honnête ; mais encore ? — Mademoiselle, il m’avait séduit, je l’avoue ; mais les réflexions que vous lui avez fait faire m’ont paru si justes que je ne comprends pas comment il ne les a pas saisies avec transport. — Vous avez de l’esprit et du tact… Dites-moi, qui vous a montré à déclamer ? — Personne, mademoiselle je suis né avec la passion du spectacle, j’y ai beaucoup été ; mais depuis un an que je me destine au théâtre, M. Monet m’a empêché d’y aller ; il m’a prêté des livres, et a voulu que je bornasse mon étude à lire et à déclamer devant une glace. — Et quels livres vous a-t-il prêtés, ce Monet ? Est-ce qu’il sait lire ? — Mademoiselle, M. Monet est un homme d’esprit et de goût ; il est obligeant et serviable ; il a rendu à toute ma famille des services que des gens plus opulents et plus en crédit que lui nous avaient refusés. — Je suis contente de vos sentiments et de votre esprit, et cela n’est ni indifférent, ni étranger à la pratique des arts. Mais encore, quels livres Monet vous a-t-il prêtés ? Des opéras-comiques, sans doute ? — M. Monet m’a prêté, mademoiselle, les théâtres de Corneille, de Racine, de Crébillon et de Voltaire. »

Il me semble que j’eus une longue conversation avec lui sur ces différents auteurs ; mais elle est restée dans les ténèbres de mon rêve.

Ayant reconnu à mon écolier un esprit naturel, mais sans culture, de la chaleur, de la docilité, je lui dis : « Quels sont, monsieur, les rôles que vous croyez posséder le mieux, et que vous vous proposez de me faire entendre ? — Mademoiselle, celui de Néron dans Britannicus. — Seulement ! Mais, monsieur, avant de vous entendre, faites-moi la grâce de me dire qui était Néron. — Mademoiselle, c’était un empereur qui vivait à Rome. — Qui vivait à Rome est bon. Mais était-il empereur romain, ou demeurait-il à Rome pour son plaisir ? Comment était-il parvenu à l’empire ? Quels étaient ses droits, sa naissance, ses parents, son éducation, son caractère, ses penchants, ses vertus, ses vices ? — Mademoiselle, le rôle de Néron répond à une partie de vos questions, mais pas à toutes. — Monsieur, il faut