Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/412

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gnait à un bel organe l’avantage d’une belle figure. Je le priai de déclamer quelque scène ; il en choisit une d’Alzire, et je crus entendre Le Kain. Son jeu en était une copie fidèle ; mais son beau visage restait toujours le même, et toute son expression résidait dans ses gestes et dans son attitude. Je voulus lui faire quelques observations ; mais sa réponse fut toujours :

« Mademoiselle, M. Le Kain fait ce geste… c’est son attitude à cet endroit. — Cela est vrai, monsieur, lui dis-je, et vous avez sur lui l’avantage de la jeunesse et de la figure ; vous êtes trop parfait pour avoir besoin de leçons. Je vais vous donner une lettre pour mes anciens camarades, et je ne doute pas que vous ne soyez admis au début. »

Lorsque je me fus débarrassée de cette sublime merveille, je m’occupai de l’autre jeune homme. Il était moins grand et moins régulièrement fait que le premier ; il n’était point beau, mais il avait beaucoup de physionomie. « En quoi, lui dis-je, monsieur, peut-on vous être utile ? — Madame, je me destine au Théâtre-Français. — Monsieur, appelez-moi mademoiselle ; on ne m’appelle plus madame. Avez-vous déjà paru sur quelque théâtre ? — Non, mademoiselle. Je comptais aller jouer en province ; mais M. Monet, qui m’a reconnu des dispositions, m’a conseillé de chercher plutôt auprès de vous quelque recommandation assez puissante pour vous engager, mademoiselle, à me donner des avis comme je n’en ai point trouvé, j’ai hasardé de me présenter seul, et je me suis fait annoncer de la part de M. Monet. — Ce n’est donc pas lui qui vous envoie ? — Non, mademoiselle. Je vous avoue que j’ai pris son nom sans sa permission, le croyant plus recommandable que le mien, qui est tout à fait inconnu. — Ah ! le sien me l’est presque autant, mais n’importe, votre physionomie m’intéresse. Asseyez-vous, monsieur, et causons… Ah ! allez me chercher mon sac à ouvrage que voilà sur cette console, au bout de cet appartement ; que je vous voie marcher, s’il vous plaît… Là, près de ce nécessaire du Japon… Monsieur, je vous rends grâce. Cela est bien, vos mouvements sont aisés ; vous n’avez point d’apprêt, point de disgrâces ; mais vous n’avez point de noblesse. Avez-vous jamais eu occasion de voir des gens de qualité dans la société ? — Non, mademoiselle. — Je le vois bien. — Je sens, mademoiselle, que j’ai mal pris mon moment ; le monsieur que je viens d’entendre…