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le format sont aussi beaux que si M. Dorat avait présidé à l’édition : c’est à quoi il faudra borner désormais l’éloge de nos poëtes. Du reste, les Bains de Diane sont aussi chauds, aussi voluptueux, aussi intéressants que les Baisers de M. Dorat.

— En revanche, je ne ferai pas relier avec les insipidités de MM. Dorat et des Fontaines la Première Nuit d’Young, traduite en vers français par M. Colardeau, feuille in-8° de trente pages. On reconnaît dans ce morceau un très-grand talent pour la versification, dont l’auteur a déjà donné des preuves dans d’autres ouvrages. Dans toute notre jeunesse poétique, il n’y a que M. de La Harpe et M. Colardeau qui aient quelque idée de l’harmonie, de cette douceur de versification qui dispose insensiblement l’âme à une douce et tendre mélancolie, de cette poésie imitative qui, par je ne sais quel prestige secret, établit une liaison entre telle sensation de l’âme et tel choix de mots ou telle suite de sons.


Mânes chers et sacrés ! ô mon ami ! jamais
Rien, non rien dans mon cœur n’effacera tes traits.
Ce cœur plein d’amertume est plein de ton idée ;
Crois-moi, l’aube du jour fût-elle retardée,
Dans son cours le plus lent la plus longue des nuits
Ne pourrait épuiser l’excès de mes ennuis,
Et le cri matinal du chantre de l’aurore
Aux cris de ma douleur se mêlerait encore.


Voilà certainement des vers ; et si M. Colardeau et ses camarades ajoutaient au talent qu’ils ont reçu de la nature l’étude et l’application nécessaires à tout homme qui veut exceller dans son art, nous leur devrions sans doute des productions très-estimables. Les Nuits d’Young ont une grande réputation en Angleterre, et même en Europe. On dit qu’il en existe une traduction allemande qui est un chef-d’œuvre, mais je ne la connais point. Un certain M. Le Tourneur nous en a donné une traduction française l’année dernière. M. Colardeau, sans doute pour faire une honnêteté à son rival, prétend que cette traduction a eu un succès éclatant[1]. Je veux mourir si j’en ai entendu parler à qui que ce soit. Ce genre ne peut guère réussir en

  1. Grimm en a précédemment annoncé la publication, tome VIII, page 313. On verra, dans le mois suivant, Diderot reprendre la sévérité avec laquelle Grimm traite ici cette traduction. (T.)