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sion quelques négligences des poésies du marquis de La Fare, et il ne peut cacher sa surprise de la réputation que La Fare et Chaulieu ont conservée. C’est que, remplies de négligences, leurs poésies respirent la volupté ; c’est qu’on y remarque cette douce flexibilité, cette tendre mélancolie d’une âme passionnée et philosophique, dont on ne trouve aucun vestige dans les poésies de M. Dorat. Les réflexions préliminaires qu’on lit à la tête de ses Baisers conserveront à sa prose la réputation qu’elle s’est si justement acquise ; ce n’est que chez lui qu’on trouve que la langue française est tour à tour une lyre qui résonne, un fleuve qui coule, un tonnerre qui gronde, un zéphyr qui se joue. Tout écrivain qui conserve dans son style ce papillotage jusqu’à trente ans risque bien de n’être qu’un enfant toute sa vie. Le poëme du Mois de mai est proprement une lutte contre les Saisons de M. de Saint-Lambert. M. Dorat a voulu essayer ce genre pour prouver qu’il ne lui était pas impossible de mériter une place à côté du chantre des Saisons. M. Diderot n’a pas trouvé à ce chantre assez d’habitude de la vie champêtre ; jugez ce qu’il aurait dit du ramage de M. Dorat : ce n’est ni dans les coulisses des spectacles, ni dans les soupers de Paris qu’on apprend à faire des Géorgiques. À la fin de son Mois de mai, M. Dorat célèbre le mariage de M. le Dauphin. Cet événement, qui va aussi être célébré à la cour et à la ville, produira une infinité de petits vers et de petites’fadaises, dont je me crois très-dispensé de parler.

— On peut faire relier avec les Baisers de M. Dorat les Bains de Diane, ou le Triomphe de l’Amour, poëme en trois chants, par un M. des Fontaines, dont c’est, je crois, le coup d’essai[1]. Ce sont, depuis quelques années, les dessinateurs et les graveurs qui font tout le mérite de nos poëmes. Celui-ci est orné de trois estampes et d’un frontispice ; l’impression, le papier et

  1. Nous avons déjà vu Grimm, tome VI, p. 494, à l’occasion de la Bergère des Alpes, donnée par des Fontaines à la Comédie-Italienne, oublier qu’il avait précédemment annoncé de lui une Épître à Quintus, p. 90, et le croire encore à son premier ouvrage. Il retombe ici dans la même erreur ; cependant des Fontaines, outre ces deux productions, avait encore donné en 1762 et en 1767 au Théâtre-Italien le Philosophe prétendu, et l’Aveugle de Palmyre. Il était aussi auteur des Lettres de Sophie et du chevalier de ***, annoncées par Grimm, même tome p. 220. — Les Bains de Diane ont un titre et trois figures dessinés par Marillier, gravés par de Ghendt, Massard, Ponce, et Voyez l’aîné.