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vénient en défigurant les anciens monuments, il détruirait l’histoire du Théâtre-Français. Il est intéressant pour une nation éclairée, et qui a fait des progrès dans un art, de conserver sans changement les différents monuments de l’art, depuis son aurore jusqu’à son déclin, et leurs défauts comme leurs beautés. Les uns et les autres sont autant de marques auxquelles on reconnaît les différentes époques de l’art et de ses progrès, depuis sa naissance jusqu’à sa décadence. L’envie de regratter à neuf les vieilles masures ne marque que l’époque de la décadence ; mais nous avons d’ailleurs tant de symptômes de cette fâcheuse époque que nous pouvons, sans conséquence, négliger celui des réparations.

— Un scélérat échappé des galères, qui a commis plusieurs assassinats dans les rues de Paris en très-peu de jours, vient d’expier ses crimes par le supplice de la roue. Un de ceux qui ont eu le malheur d’être rencontrés par ce misérable est M. Perrinet de Châtelmont, qui vient de mourir de sa blessure après avoir langui près d’un mois. C’était le cadet d’une nombreuse famille protestante, fort connue dans la finance ; il avait cinquante et quelques années. J’ai connu son oncle, homme d’esprit, qui mourut, il y a sept ou huit ans, fermier général et nonagénaire. Il avait passé sa jeunesse, comme c’était la mode alors, dans les cafés de Paris, avec tous les beaux esprits à la mode, et il est fait mention de lui dans les fameux couplets de Jean-Baptiste Rousseau qui lui occasionnèrent un procès criminel. Le vieux Perrinet y est cité comme attaché à la foi protestante. Quand je l’ai connu, il avait embrassé depuis longtemps le parti de la neutralité ; il était possesseur de plusieurs millions, avec beaucoup de simplicité dans les mœurs et une grande subtilité dans l’esprit. Ses deux petites-filles ont porté leurs richesses dans deux familles de condition, en épousant, l’une un Langeron, l’autre un Brienne. Ses collatéraux, qui jouissent tous d’une fortune très-honnête, neutres comme leur oncle, se sont conformés, quant à l’extérieur, au culte dominant, excepté ce pauvre Châtelmont qui vient d’être assassiné, et qui était resté zélé protestant. Ses frères jouissent de leur fortune comme il convient à des citoyens honnêtes. Châtelmont en usait comme un saint homme qui n’est ici que de passage, et qui va se rendre dans sa vraie patrie. Il ne se permettait pas d’avoir un carrosse ;