Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 9.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de Rome. Tout cela est arrangé avec une puérilité qui fait pitié, et le style est partout faible et languissant. Je ne retrouve mon cher Lantin qu’un moment au cinquième acte, qui est assez beau, et qui ferait certainement un grand effet au théâtre, s’il était précédé de quatre autres de sa force. On dit que les Comédiens français se proposent d’essayer sur leur théâtre cette tragédie réparée à neuf, mais je doute qu’elle ait un grand succès ; le suc vivifiant n’y est point, et il vient un temps où il faut délier le coursier épuisé. Solve senescentem. Ce temps est arrivé immédiatement après la tragédie de Tancrède, qui porte déjà quelques symptômes de langueur, et qui fera la clôture des trophées de gloire du patriarche ; ce qui est venu depuis, Olympie, les Scythes, les Guèbres, ne peut être mis à côté des monuments qui éterniseront le nom de Voltaire.

On lit à la tête de la tragédie de Sophonisbe une espèce de dissertation en forme d’épître dédicatoire, adressée à M. le duc de La Vallière, grand fauconnier de France. On reconnaît dans cette épître la touche de l’illustre éditeur de l’ouvrage de M. Lantin. Il désire que nos jeunes poëtes suivent l’exemple de M. Lantin, en réparant à neuf plusieurs de nos anciennes tragédies tombées dans l’oubli ; il propose pour cette opération Agésilas, Attila, Suréna, Othon, Pulchérie, Pertharite, Œdipe, Médée, Don Sanche d’Aragon, la Toison d’or, Andromède, et d’autres pièces perdues de Corneille ; l’Astrate de Quinault, le Scévole de du Ryer, l’Amour tyrannique de Scudéry, etc. Il rappelle l’essai de Marmontel sur le Venceslas de Rotrou, mais il ne dit pas que cet essai n’a pas été heureux. Ma foi, si la gloire du Théâtre-Français ne repose plus que sur les épaules des réparateurs à neuf, je le tiens pour perdu ; cela sent prodigieusement la vieillesse et le déclin, et jamais nous ne devrons un bel ouvrage à des réparateurs de profession. C’est un conte que les sujets commencent à s’épuiser : jamais les sujets n’ont manqué à l’homme de génie, puisque tout le mérite d’un ouvrage de l’art consiste dans la manière dont il est traité, qu’il n’y a point de sujet ingrat pour celui qui a reçu le génie en partage, et que les sujets les plus heureux s’affaissent et expirent sous la plume meurtrière du versificateur sans talent et sans âme. Le projet de réparer à neuf, s’il prenait faveur, aurait encore un autre incon-